Retour sur une année de création
A PEINE ENTRÉ SUR SCÈNE, JO RUFFIER DES AIMES, OU JO STYCK, EN IMPOSE. UNE, DEUX, TROIS BOUCLES ENREGISTRÉES EN LIVE SUR SA PÉDALE LOOPER À BASE DE BEATBOX ET D’ACCORDS BLUES À LA GUITARE, ET LE VOILÀ LANCÉ. L’ANCIEN MEMBRE DES NÉGRESSES VERTES ATTRAPE ALORS SON STICK CHAPMAN ET C’EST TOUT UN GROUPE QUE L’ON ENTREVOIT AUTOUR DE CET HOMME, SEUL, AU MILIEU DE LA SCÈNE.
IL MÊLE LES VOIX, LES TEMPS ET LES STYLES, EN VIREVOLTANT ENTRE MAINTS UNIVERS MUSICAUX, TANTÔT FUNK, TANTÔT DANS UNE RYTHMIQUE PRESQUE REGGAE, ET DANS UN ESPRIT RÉSOLUMENT BLUES. COMME POUR CRIER SES PEINES, LE CROONER EST À SA PLACE, TOUJOURS JUSTE.
SE DÉGAGE DE L’UNIVERS SI PARTICULIER DE JO, DE PAR SES INFLUENCES ET SA TECHNIQUE DE JEU PEU ACADÉMIQUE, UNE CHALEUR HARMONIEUSE, TOUT EN NUANCES, QUI VOUS INVITE À ÉCOUTER.
En solo depuis 6 années, après avoir collaboré avec de nombreux groupes et monté plusieurs collectifs, comment se présente l’année 2015 pour vous, avec l’arrivée d’un album, Bonne Chance ?
Jo Ruffier des Aimes : L’album est en effet en préparation, et je me concentre sur le blues, le groove, et la chanson. En attendant sa sortie, je suis sur scène, où je commence généralement par introduire des boucles avec mon looper : je loope des parties de guitare, des choeurs, et finis avec le Chapman stick, ou l’inverse, et je fais mes arrangements comme cela. C’est une technique très particulière, qui demande beaucoup de rigueur, puisqu’on n’a pas le droit à l’erreur. D’ailleurs, si l’enchaînement des boucles que j’enregistre en direct sur scène ne me convient pas, je n’hésite pas à recommencer depuis le début, car cela peut donner lieu à une véritable cacophonie.
Comment as-tu découvert le Chapman Stick ?
Jo Ruffier des Aimes : Mon stage manager, lorsque je faisais partie des Négresses Vertes, m’a dit : « Il faut que tu essaies ce truc ! ». En tant que musicien, j’ai commencé par les percussions, notamment la batterie, et me suis rapidement mis à la guitare et au piano, et bien que je n’ai pas particulièrement accroché avec l’instrument la première fois que je l’ai essayé, j’ai littéralement adoré ce drôle d’instrument la seconde fois que je l’ai pris en main. Cela fait déjà plus de 25 ans que j’en joue. A l’époque – encore plus qu’aujourd’hui – totalement méconnu. Ce qui est amusant, c’est que lorsque j’ai débuté, j’avais une notice en anglais. Comme je n’y comprenais rien, je regardais les dessins, en essayant de comprendre comment placer mes doigts, puis je faisais les choses un peu au hasard, à tâtons, en fonction de mes envies. Comme je ne connaissais personne qui en jouait, et qu’à cette époque Internet n’existait pas, j’ai appris seul, ce qui explique ma technique de jeu assez originale si l’on se réfère aux codes de jeu classiques promus pour cet instrument. Dans la pratique de la guitare comme du stick, j’essaie – je dis bien j’essaie – d’être détaché des standards. Mais j’imagine que comme j’utilisais déjà la technique du tapping à la guitare – ou guitare frappée – j’ai eu des facilités à apprendre la technique de tapping typique du Chapman stick.
Quel univers construis-tu autour de cette pratique instrumentale ?
Jo Ruffier des Aimes : C’est principalement la misère et le blues qui transparaissent, la détresse en somme, toutes ces choses qui me font mal. Je pense que par la suite je ferai des choses plus positives, mais pour le moment je suis véritablement dans le blues, ce qui en soi n’est pas extrêmement gai (rires) malgré un enrobage plutôt léger. Je ne dirai pas que je suis un homme torturé, je le suis d’une certaine manière, un peu comme tout le monde. C’est le monde qui est torturant. Je vous rassure, je ne fais généralement pas pleurer mon auditoire, mais si j’y arrivais – je serai certainement assez fier !
Tu as toujours été très entouré, au gré des formations et groupes dont tu as fait partie et que tu as créés. Aujourd’hui, comment appréhendes-tu ce véritable lancement en solo ?
Jo Ruffier des Aimes : Heureusement, Hyves – mon manager depuis longtemps déjà – me pousse et m’épaule dans cette entreprise, autant au niveau relationnel que pour programmer, comme ce soir, des dates et des rencontres. C’est tout moi : je peux passer des journées à faire de la musique, mais ai beaucoup de mal à passer du côté relationnel. Un appel de 5 minutes me terrorise !
Aujourd’hui en solo, quelles sont tes influences, de quoi te nourris-tu ?
Jo Ruffier des Aimes : Les influences sont à l’intérieur. Je ne sais ni lire ni écrire la musique, et j’ai appris dans mon coin, que ce soit la guitare, le piano ou le stick, ce qui ne m’a d’ailleurs pas empêché de faire du piano bar et, finalement, mes influences sont en moi ; c’est comme cela qu’on apprend, en recopiant les autres, mais aussi en créant. Je suis bel et bien à cette charnière : je crée en faisant la somme de ce que j’entends, de ce qui me touche, même si on dit en m’écoutant que c’est original et que l’on n’a jamais entendu cela ; selon moi tout s’explique.
Si on parlait de technique ?
Jo Ruffier des Aimes : Sur scène, où j’ai souvent plusieurs instruments, j’ai choisi d’opter pour le pied afin de poser le stick de manière indépendante, ce qui me permet d’évoluer plus librement et de passer d’un instrument à l’autre. Normalement, le stick se porte avec une accroche à la ceinture, mais j’ai très vite choisis de me détacher de l’instrument, ce qui me permet de mieux maîtriser ma voix, ainsi que l’enchaînement des enregistrements que je réalise sur le looper.
Le looper fait partie intégrante de tes compositions musicales, et sert de base pour les parties de Chapman Stick que tu viens poser par dessus. Quand tu t’es lancé en solo il y a quelques années, as-tu dès le début utilisé le looper ?
Jo Ruffier des Aimes : Oui, dès le début. A la base, lorsque je faisais la manche, j’en avais un petit qui me permettait de mettre les batteries, notamment des boucles de beatbox, et je jouais le Chapman Stick par-dessus. Lorsque j’ai commencé à me produire sur scène, j’en ai acheté un plus gros afin de pouvoir associer aux parties rythmiques des choeurs que j’ajouterai et enlèverai à ma guise. Le looper que j’utilise aujourd’hui a trois pistes, ce qui est suffisant selon moi car à trop vouloir ajouter de boucles, et particulièrement avec le matériel que j’ai (Chapman stick, harmonica, melodica, guitare, beatbox), on perd souvent en qualité. Mon stick n’est plus tout jeune, il a déjà 25 ans, et il faut être vigilant car la qualité du set créé à l’enregistrement sur le looper dépend énormément du matériel que l’on utilise. Il faut véritablement connaître son instrument, mais j’aime l’authenticité du son qui se dégage de ce vieux bout de bois. C’est assez surprenant d’être face à cet instrument, à la fois si moderne et si ancien. De face, il fait penser à ces instruments à cordes féodaux. De profil, il fait penser à une fusée.
En ce moment, tu fais un peu de scène en solo, mais tu as également un projet en particulier, Furens Nouba, un collectif que tu montes en ce moment à Montpellier, et qui rappelle beaucoup l’assez folle aventure Tarace Boulba.
Jo Ruffier des Aimes : En effet, j’ai monté un projet très sympa à Montpellier, un collectif avec lequel nous faisons ce que j’aime appeler de l’arabo funk. On travaille de la funk, des morceaux arabo-andaloux, sur le même principe que Tarace Boulba, avec comme base la batterie, le stick, cuivres et chants. On est une dizaine, et on travaille à distance. Je retrouve généralement la troupe pour les répétitions générales, et je pense que – comme Tarace Boulba – après un concert ou deux – cela prendra de l’ampleur. De beaux moments de partage et de musique en perspective…
Merci Jo de nous avoir accordé cette interview. A très bientôt j’espère.
Jo Ruffier des Aimes : A bientôt Sophie et merci.
credit photo : Corinne SOURIS et Jo Ruffier