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Poète, chroniqueur, journaliste, romancier, acteur au théâtre, musicien de jazz, dessinateur, son oeuvre est une mine dans laquelle on découvre encore au XXIème siècle de nouveaux manuscrits. Provocateur, tout l’intéresse. Ingénieur, il quittera rapidement cette activité alimentaire pour se consacrer au jazz. Il écrit des romans , des chroniques de presse , des chansons . Il bricole , dépose des brevets, chante, fait des disques et du cinéma ; de la peinture. Il épouse Michelle Léglise et aura avec elle deux enfants… puis viendra Ursula en 1954. Dandy génial et étoile nocturne de Saint-Germain , Boris Vian avait tous les talents ou presque. Sa bibliographie reste très difficile à dater avec précision puis que lui-même ne datait pas toujours ses oeuvres . « Cent sonnets» en est un exemple . Santé délicate et teint blafard, il mènera sa vie , ses amours et sa carrière sur un tempo effréné. Il l’a dit et répété : il mourra à 40 ans . Il mourra finalement à 39 ans après une vie vécue à cent à l’heure.
L’été se profile à Paris ce 23 juin 1959. En entrant dans le cinéma Marbeuf, Boris Vian est d’humeur sombre. Il sait que le film tiré de J’irai cracher sur vos tombes va l’irriter. Aux premières images, son coeur se serre. Il quitte son fauteuil, une douleur le poignarde au côté gauche. Il s’écroule. Jusqu’au bout, Boris Vian n’aura rien fait comme les autres : le jour de son enterrement, ce sont ses amis qui le portent car les croque-morts font la grève. Une sale blague qu’il aurait forcément aimée. Boris Vian, réputé pessimiste, adorait l’absurde, la fête et le jeu. Il est aussi l’inventeur de systèmes parmi lesquels figure le « peignophone », un instrument de musique composé d’un peigne et d’une feuille de papier à cigarettes dont il jouait au lycée. Le père de Boris, Paul Vian, épouse lui le 2 décembre 1917 une riche héritière, Yvonne Woldemar-Ravenez. Il a assez de fortune pour ne pas avoir besoin de travailler. Selon les biographes le nom de la famille serait d’origine piémontaise : Viana. Une famille dont la fortune avait été bâtie par un grand-père dans la ferronnerie d’art, réalisateur des grilles de la villa Arnaga résidence d’Edmond Rostand au Pays basque, et qui a épousé Jeanne Brousse, héritière des papeteries Brousse-Navarre.
Boris Vian est issu d’une famille française depuis des siècles. Paul lèguera à Boris curiosité et fantaisie. Avec Yvonne, la vie est paisible à Ville-d’Avray (Vildavret comme aurait écrit Boris), quand Lélio (en hommage à Lélio ou le Retour à la vie d’Hector Berlioz) paraît en octobre 1918. Le 10 mars 1920, deux ans plus tard, naissait Boris en hommage à Boris Godounov. Suivront Alain, en 1921 puis Ninon en 1924.
Yvonne est musicienne, elle joue Erik Satie, Claude Debussy ou Maurice Ravel à la harpe et au piano. Les Vian sont ravis d’avoir quatre enfants. Ils emménagent aux « Fauvettes », superbe villa. On s’amuse, l’insouciance est de mise, mais on apprend également. A cinq ans, chacun doit savoir lire et Boris est doué. Il dévore les classiques. Paul, polyvalent mais peu adroit financièrement, est victime du krach de 1929 ternissant le tableau idyllique. N’étant pas du genre à déprimer, la famille s’installe dans la maison des gardiens et la villa est louée. Des locataires prennent les lieux : les Menuhin dont le fils Yehudi enchantera au violon le parc. La vie reprendra comme avant.
Les idées libérales de Paul aident chacun à se forger une personnalité. Au volant de sa Torpédo, il conduit sa famille en vacances dans leur résidence secondaire de Landemer (Cotentin). La plage est à eux : pas de voisins, pas de touristes. On se baigne et canote. Boris a 12 ans en 1932 quand il ressent une première attaque due à une cardiopathie rhumatismale conduisant à une insuffisance aortique. Boris se laisse couver par sa mère surnommée Mère Pouche. Il décrira cet hypermaternalisme dans L’herbe rouge. Paul s’inquiétant de la baisse de ses revenus, se lancera dans la traduction et la vente. Ce rentier devient donc représentant pour le laboratoire de l’Abbé Chaupitre, courant, de ce fait, les pharmacies. Boris étudie. Il semble surdoué. Premier bac à 15 ans, sa route paraît tracée mais c’est sans compter avec sa santé.
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1935, il est très affecté par une typhoïde qui isole l’adolescent se passionnant pour la lecture, la mécanique et les fêtes, mot-clé chez les Vian qui aiment recevoir. Paul décide d’installer une salle de bal dans le parc des Fauvettes. Boris en dessine les plans et participe à la construction. Les frères sont emballés et un orchestre prend forme : Lélio à la guitare, Alain à la batterie et Boris qui apprend seul la musique, à la trompette. D’autres musiciens complèteront l’ensemble.
Epoque où le jazz règne en maître. La salle accueille souvent près de trois cents personnes. Les filles font de la pâtisserie et les garçons se chargent de la boisson. Boris est alors surnommé « Bison ravi ». Il créera le cercle Legâteux, un club donnant accès aux fêtes. Pour y adhérer, les postulants se soumettront à certaines épreuves dont l’absorption d’une plâtrée d’un kilo de nouilles. Jouer certes, mais danser permet d’entrer en contact avec les filles. On installe donc un phono et ça « swingue » au rythme de Bing Crosby et de Charles Trénet. Chemise blanche et cravate, veston et pull à manches courtes pour les garçons, les demoiselles somptueuses dans des robes taillées par des couturières. On organise des concours avec prix, comme celui de fox-trot décroché par Boris. Joue contre joue, pas de flirt ! Les fils Vian inviteront les demoiselles délaissées. Dans ce pur état d’esprit, les parties s’enchaîneront au rythme de deux par semaine. Boris est alors lycéen à Condorcet, en math élem et math sup. Lecture, études, musique lui suffisent. Il s’inscrit au Hot Club de France et continue seul son apprentissage de la trompette. Malgré ses penchants littéraires, son deuxième bac en poche, Boris s’inscrit à l’Ecole Centrale.
En 1939, il quitte donc pour la première fois famille et villa pour partir en vacances à Saint-Jean-de-Monts. Première échappée et premières amours avec Monette, la vigilance d’Yvonne étant trompée.
La France est en guerre. Centrale s’est repliée à Angoulême. Boris écrit tous les jours à sa mère pour la rassurer. Le conflit monte mais n’affecte pas le jeune homme non mobilisable à cause de sa maladie.
En 1940, Boris quitte Angoulême pour Bordeaux, à vélo. Il retrouve ses parents sur la route de l’exode et la famille se réfugie à Capbreton. Au bord de la mer, retrouvailles avec les fêtes. Son frère Alain lui présente alors Michelle Léglise et Jacques Loustalot. Jacques a 15 ans mais en paraît 20, porte un oeil de verre qu’il enlève et perd souvent. Excentrique à souhait, il amuse et intrigue. Le courant passe entre les jeunes hommes. Boris reste plus réservé envers Michelle qui lui plaît, car Monette accapare encore son coeur. Michelle ne reste pas insensible aux avances d’Alain. Toutefois c’est de Boris qu’elle tombe amoureuse. Le mariage est animé en ce 3 juillet 1941 mais Boris décline le voyage de noces prévu en Vendée sur les craintes de sa mère. Finalement, ils acceptent une lune de miel à Passy, dans un studio loué à Alain Saint-Ogan, dessinateur de Zig et Puce. Michelle et Boris reviennent chez les Vian. Boris est étudiant et Michelle, journaliste pigiste, enceinte, ne peut assumer les revenus. Les fêtes reprennent, le cercle persiste, on y ajoute « les bouts-rimés », un jeu qui consiste à créer des poèmes. Ville-d’Avray devient le rendez-vous des zazous des beaux quartiers, fous de jazz, de swing et d’Amérique.
D’une élégance tapageuse, les garçons affectionnent les couleurs vives, les pantalons froncés, les cravates de laine; les filles, les jupes courtes, les chaussures à talon compensé. Peu accaparé par Centrale, Bison ravi s’adonne donc au jazz. Alain lui présente Claude Abadie, clarinettiste qui dirige une formation de jazz dans laquelle Alain joue de la batterie. Cela marque un tournant dans la vie du trompettiste devenu père, en avril 42, d’un petit Patrick. La famille s’installe rue du Faubourg-Poissonnière. Diplômé ingénieur flambant neuf de Centrale, il entre à l’Association française de normalisation (Afnor), un poste qui ne lui demandera pas une présence contraignante. Boris ne veut pas faire carrière comme ingénieur et se consacre surtout au jazz. Il décide aussi de se lancer dans l’écriture et entre deux normalisations, il écrit Troubles dans les Andains, premier roman inédit de son vivant. Boris y apparaît sous les noms d’Antioche Tambrétambre et du baron Visi. Du rocambolesque, de l’invention et des jeux de mots. Loustalot, grand ami du couple Vian, participe à la fiction sous le surnom du Major. Les Vian sont mariés depuis trois ans. Pas une ombre au tableau jusqu’au 23 novembre 1944. Son père est assassiné par des cambrioleurs. Un pan de vie s’écroule avec la disparition du moteur de la famille. Un bombardement détruit la villa de Landemer et Ville-d’Avray est vendue. La vie d’adulte commence enfin pour Boris. Malheureux, il termine la rédaction de Vercoquin et le plancton inspiré de leurs fêtes et des aberrations de l’Afnor.
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L’ingénieur-trompettiste devient alors écrivain. Gallimard publie et le directeur de collection est Raymond Queneau. Après-guerre, Boris gagne mal sa vie. Michelle collabore donc comme critique de cinéma au journal Les Amis des Arts. Le rationnement est draconien et l’appartement est impossible à chauffer. Boris démissionne alors de l’Afnor et entre à l’Office du papier. Peu occupé, il en profite pour écrire L’écume des jours, roman d’amour de Colin et Chloé, histoire triste et banale si elle n’avait pas été écrite par Boris Vian. L’univers des personnages est plein d’objets animés et de souris garde-malades. Ce conte poétique sera plébiscité par la jeunesse des années 60. Appuyé par Queneau et Sartre, le roman concourt pour le Prix de la Pléiade qu’il ne remporte pas, une grande déception pour l’auteur. Malgré cette défaite, Boris acquiert définitivement la sympathie de Sartre qui publie treize chapitres de son livre dans les Temps modernes. A la suite, un contrat est signé avec Gallimard qui éditera L’écume des jours en 1947. Seules quelques centaines d’exemplaires trouveront acquéreur.
Boris n’en oublie pas le jazz. La formation de Claude Abadie est sollicitée pour distraire les troupes américaines et les concerts s’enchaînent au point que l’orchestre décroche quatre coupes au Tournoi international de jazz amateur à Bruxelles. Michelle et Boris sortent beaucoup, connaissent tout le monde et tout le monde les connaît. Ils organisent des fêtes Faubourg-Poissonnière qu’ils transforment en « tartes-parties ». Michelle s’occupe des tartes et Boris invente de drôles de cocktails aux noms grivois – Foutre-aux-fraises- ou poétiques – Arc-en-ciel… A cette époque, le jazz explose un peu partout. Avant la guerre, Saint-Germain avait des airs de province avec son église, ses bistrots et son marché. Puis sous l’influence de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, c’est devenu le rendez-vous des artistes et des existentialistes. Seule manque encore la musique pour s’amuser vraiment.
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Les musiciens Don Byas (à genoux), Claude Luter, Boris Vian, Aimé Barelli et Jacques Diéval (de droite à gauche), autour de Michelle Vian, répètent au Lido de Paris le 4 mai 1948 avant l’ouverture du Festival international de jazz.
Michelle Vian rejoint les Zazous
Claude Luther : clarinettiste et chef d’orchestre, s’en charge en créant la première cave – Le Club des Lorientais – temple du jazz New-Orléans. Le philosophe Merleau-Ponty, le psychanalyste Jacques Lacan, Juliette Gréco et Mouloudji s’y croisent. Boris y retrouve l’atmosphère de Ville-d’Avray. Avec Michelle, ils dorment peu, vont partout. Le coeur malade de Boris le rend insomniaque. Il repousse les limites de la nuit. Le dernier carré des noctambules se retrouve inévitablement sur le trottoir ou rue Dauphine dans le seul bistrot encore ouvert. C’est d’ailleurs dans la cave de ce café anodin qu’ouvre, en 1947, le plus mythique et célèbre club de l’époque : Le Tabou. Juliette Gréco en est l’une des instigatrices, Boris, Alain, Lélio et Le Major, des habitués. Après les années d’Occupation, les jeunes, sevrés de musique, de danse, de tabac et d’alcool rattrapent le temps perdu. Le Tout-Paris veut s’encanailler auprès des jeunes « rats » (nommés ainsi car ils fréquentent les caves) décrits comme dégénérés car ils écoutent de la musique américaine, dansent le bebop et flirtent en buvant des cocktails. Sa grande silhouette et son sourire narquois deviennent l’emblème de Saint- Germain. Ses solos de trompette bercent les amoureux grisés. Sa maladie lui donne une auréole supplémentaire. Il en plaisante et affirme qu’il mourra à 40 ans. Il devient le « Prince du Tabou ». Dans ces lieux où tout est (presque) permis, on réinvente la fête pour oublier la guerre. On y est de plus en plus audacieux : au Tabou, on élit une Miss seins nus et un Apollon en slip. Des cavent ouvrent dans tout le quartier.
Boris vit à cent à l’heure, une idée toujours en cours. Il profite de quinze jours de vacances pour écrire avec Michelle ce qui reste un grand canular littéraire. Amateurs de romans noirs américains, il décide d’en rédiger un faux. A lui seul, J’irai cracher sur vos tombes est provocateur. Boris prend le pseudo de Vernon Sullivan et se dit traducteur du texte. La farce tourne au cauchemar tout en asseyant la notoriété de Vian. Quatre mois après la sortie du livre, Daniel Parker, au nom du « Cartel d’action sociale et morale », porte plainte. Il reproche au texte ses personnages à la morale douteuse. Excellente publicité !… Pendant que la justice instruit le dossier, le roman se vend par milliers. La supercherie n’est pas dévoilée et Boris commence un autre Sullivan. Un fait divers relance le scandale : on retrouve près d’une femme étranglée, le roman ouvert à la page où est décrit semblable crime. Une loi d’amnistie met fin aux poursuites. De plus en plus, Boris existe par l’écriture ; il décroche sa première traduction et publie, dans l’indifférence générale, son troisième roman, L’automne à Pékin. Encouragé par la manne de J’irai cracher sur vos tombes, il décide de vivre de sa plume quand il est licencié de l’Office du papier. Il passe avec succès son permis de conduire et assouvit son rêve : l’achat d’une BMW à restaurer. Le quotidien du couple Vian s’améliore mais Boris n’est pas heureux. Il est apprécié comme traducteur, la collection Série noire le prend comme collaborateur et le magazine Jazz Hot lui ouvre ses colonnes. Mais on ne lui reconnaît pas son talent d’écrivain. Le Tabou l’entraîne dans de nouvelles aventures : scénarios, radio et toujours les fêtes. La fatalité s’abat encore sur lui le 7 janvier 1948 ; Le Major se tue en tombant de son balcon lors d’une soirée.
Boris perd son meilleur ami. La naissance de Carole, trois mois plus tard vient adoucir son malheur. La vie reprend le dessus. Contre l’avis de Michelle craignant un nouveau scandale, Boris accepte au théâtre l’adaptation de J’irai cracher sur vos tombes. La pièce est montée, la polémique relancée et Daniel Parker réitère sa plainte. Boris Vian reconnaît qu’il est Vernon Sullivan et l’affaire tourne court. Cette adaptation a des répercussions sur le couple : c’est le premier désaccord entre Michelle et Boris. Le couple n’est plus que l’ombre de lui-même depuis quelques années. Chacun reproche à l’autre ses infidélités. Boris réalise aussi qu’il n’est pas fait pour la vie de famille et ses contraintes. Il aime se promener avec ses enfants, apprendre la trompette à Patrick ou chahuter avec Carole. Mais veiller à leur éducation ou suivre leurs progrès le concerne peu. Sa bohême lui colle à la peau. Michelle a de plus en plus de mal à assumer seule le quotidien, les factures s’amoncèlent et bientôt le fisc va les épingler. L’histoire d’amour a vécu. Ils cohabitent encore mais s’éloignent l’un de l’autre. Le Tabou, victime de sa notoriété, perd aussi un peu de son âme. Le propriétaire sollicite les invités pour recevoir plus de clients prêts à payer. Boris fonde alors le « Club Saint-Germain-des-Prés » rue Saint-Benoît. Le vent a tourné, la fête se fait plus cossue. Dans cette cave vouée au jazz, il accueille des grands musiciens américains. Des soirées à thèmes – Nuit du Western, Nuit de la série noire – alternent avec les prestations de Duke Ellington, Charlie Parker ou Miles Davis. Malgré leur différend, Michelle continue de sortir avec son mari. Quand ils rencontrent le Duke, tous deux sont aux anges. Dans ces instants, on les croit soudés mais ce n’est qu’illusion.
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Seules les relations de Boris Vian avec le jazz – sa passion – sont au beau fixe. L’équarrissage pour tous est monté au théâtre. Les critiques sont partagées. La reconnaissance espérée se fait attendre. Heureusement, il lui reste la mécanique, sa BMW et surtout une Brasier 1913 qu’il reconstruira pièce par pièce et qu’il pilotera à… 40km/h ! Elle le mènera jusqu’à Saint-Tropez où les habitués de Saint-Germain migrent l’été. En 1950, Boris y loue une villa pour dix ans. Chez Gallimard, le cocktail du 8 juin 1950 sera celui qui comptera le plus pour l’auteur. Ursula Kübler, jeune danseuse de 21 ans, attire le regard de Boris qui mettra un an pour quitter Michelle et s’installer avec l’élue. Cette nouvelle vie lui redonne du punch. Il prendra de la distance avec la littérature qui ne lui porte pas chance pour se consacrer à la traduction et au journalisme.
En septembre 1952, son divorce prononcé l’éloigne de ses enfants. Boris Vian est triste et le gai « Prince du Tabou » est loin. Seule Ursula, qu’il appelle Ourson, l’empêche de sombrer. Ils vivent comme de jeunes amoureux. Le couple déménage et s’installe cité Véron sur la terrasse du Moulin-Rouge. Ils ont pour voisin Jacques Prévert que Boris retrouve au collège de Pataphysique, club dont les membres continuent l’oeuvre d’Alfred Jarry.
En 1954, sous la pression des parents d’Ursula, les amants régularisent leur union. Le jeune marié se lance un nouveau défi : la chanson. Il a un répertoire interprété par Mouloudji, Henri Salvador… Jacques Canetti l’engage au théâtre des Trois Baudets. Le soir Ursula et Boris se retrouvent après leur spectacle mais Ourson pose peu de questions car le chanteur a peu de succès. Elle ne parle pas non plus de ses prestations car sa carrière n’intéresse guère Boris. Le contrat entre eux est simple : elle ne lit pas ses écrits, il ne la suit pas aux répétitions. Boris se rend à l’évidence, il n’est pas un chanteur à succès. Face à ce nouvel échec, il accepte un poste de directeur artistique chez Philips. Il continue à écrire pour les autres et enregistre un disque, Chansons possibles et impossibles, qui sera censuré à cause du célèbre Déserteur. Après Philips, il entre chez Fontana, démissionne et intègre Barclay. Quand il ne travaille pas, le couple reçoit ses amis : Henri Salvador, Jacques Prévert ou Raymond Queneau. Pendant toutes ces années, Boris ne pense guère à sa santé. Son engagement aux Trois Baudets et une tournée l’ont cependant fatigué. Il veut tenir le mal à distance et refuse qu’on le traite en malade. Il est terrassé par une première crise d’oedème pulmonaire. Alité deux semaines, il reprend frénétiquement, dès qu’il peut, ses activités. Le répit ne dure pas. Un an plus tard, une nouvelle crise s’abat sur lui. Son envie de vivre le sauve. En 1959, le 23 juin, la maladie donne son dernier assaut, son coeur le lâche.
L’étoile de Saint-Germain s’est éteinte mais le romancier, lui, va vivre. Celui qui a tant attendu la reconnaissance littéraire jouira d’une gloire posthume. A la fin des années 60, il entre au Panthéon de la littérature moderne. Les jeunes se reconnaissent dans ce Rimbaud de l’après-guerre. L’écume des jours, L’arrache-coeur, L’automne à Pékin deviennent des oeuvres incontournables. Conformément à ses voeux, Vian auteur a définitivement pris le pas sur Vian ingénieur, trompettiste, inventeur.