Les ondes MARTENOT

 

Les Hiboux par Léo Ferré, Le plat pays et La Fanette par Jacques Brel, La femme est l’avenir de l’homme par Jean Ferrat, L’été, où est-il par Bobby Lapointe. Des titres de Joe Jackson, Marianne Faithfull, Tom Waits, Vanessa Paradis, Arthur H, Zazie, Lara Fabian, Depeche Mode, Brian Ferry, Jonny Greenwood (du groupe Radiohead), Les Ogres de Barback, Thomas Fersen ou des lms tels Mad Max, Mars attacks, La leçon de tango, La marche de l’Empereur, SOS fantômes, Vampires 3 font apparaître des phrases musicales au son bizarre, spatial et extra-terrestre, il s’agit là de l’emploi des fameuse ondes Martenot… L’instrument est exposé à la Cité de la Musique à Paris.

Histoire

Il s’agit de l’un des plus anciens instruments de musique électronique, avec le thérémin mis au point en Russie en 1917 par Lev Sergeïevitch Termen (dit Léon Theremine).

 

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Maurice Martenot conçoit son instrument à partir de 1918 et le présente à l’Opéra de Paris en 1928. Arthur Honegger, Darius Milhaud, André Jolivet et Olivier Messiaen écrivent immédiatement pour les ondes Martenot, que son inventeur ne cessera d’améliorer jusqu’en 1975, septième et dernier modèle. Son répertoire comptera plus de 1500 œuvres. Sa production est stoppée en 1988 suite à de nombreuses tentatives échouées de la part des Japonais et des Américains. On assistera quinze ans plus tard à l’éclosion d’une nouvelle facture ayant pour nom Ondéa, ainsi qu’une tentative d’approche par un modèle appelé French connection, puis une reprise du modèle sous le nom d’Ondes Martenot (marque déposée). C’est la renaissance de l’instrument.

L’inventeur
Le Français Maurice Martenot (Paris, 1898 – Clichy, 1980) s’initie très tôt à la musique. Il donne ses premiers concerts de violoncelle à l’âge de 9 ans, accompagné au piano par sa sœur Ginette qui deviendra la première soliste des ondes Martenot. Il apprit également l’harmonie et le contrepoint. Autodidacte, il se passionne pour les sciences auxquelles il se forme et qu’il enseigne. En 1917, au cours de la première guerre mondiale – alors affecté dans les transmissions – Maurice Martenot découvre le principe de son futur instrument en utilisant des lampes électroniques fraîchement inventées et équipant les postes. Il remarque « la pureté des vibrations produites par ces lampes à trois électrodes (triodes) dont on fait varier l’intensité à partir d’un condensateur ». Peu présent à l’esprit de la guerre, il rêvera plutôt de créer un instrument de musique pouvant exprimer la sensibilité humaine. Rentré de la guerre, il se mettra au travail pour chercher à domestiquer les ondes émises par les lampes, puis décide de présenter publiquement ses « ondes musicales » à l’Opéra, le 3 mai 1928. Les critiques rent écho à la tournée mondiale triomphale qui suivit : « Si Maurice Martenot avait vécu au Moyen-âge, il aurait été accusé de sorcellerie et brûlé vif sur la place publique » (New York Herald) ; « C’est aérien, surnaturel, inexplicable » (Information)…

Maurice Martenot fut aussi un pédagogue, pratiquant et perfectionnant toute sa vie une méthode mise au point par sa sœur aînée Madeleine ayant pour objet l’initiation des jeunes enfants à la musique. Il enseignera la relaxation, en écrira un livre publié en 1977 et réédité récemment.

L’instrument
La radio qui servit de modèle à Martenot n’exploitait qu’une très haute fréquence, un ultrason (80 000 Hertz) inaudible par l’oreille humaine. Pour obtenir un son audible, Maurice Martenot exploita le principe de l’hétérodyne, phénomène que le musicien appelle « battements », une espèce de «wa-wa», plus rapide si les instruments sont faux (fréquences éloignées) et plus lents si les instruments approchent la justesse (fréquences proches) nissant par disparaître quand les deux instruments sont à la même fréquence.

Le principe consiste à diffuser en même temps deux notes (deux fréquences) pour en générer une troisième dont la hauteur sera issue de leur soustraction mathématique. Ainsi, pour obtenir le « la » du diapason, on peut diffuser simultanément deux fréquences inaudibles de 80 000 et de 80 440 Hertz. Leur différence est bien de 440 Hertz. La première fréquence émise est fixe, toujours identique et la seconde est variable, modifée par l’ondiste lorsqu’il enfonce les touches du clavier (CL) ou déplace le ruban (R).

Un joueur d’ondes Martenot s’appelle un ondiste. Monodique, monophonique à oscillateur électronique, l’instrument se caractérise par des sonorités particulières dont la plus connue – proche de la sinusoïde – évoque des « voix venues d’ailleurs », assez proche de la scie musicale. Il présente bien d’autres possibilités…

Martenot-_01L’équipement comporte :

Un clavier suspendu dont la transposition agit sur la hauteur du son (sa fréquence) et donc le vibrato ; mobile dans le sens transversal, il se déplace de plus ou moins un demi-ton en glissant par tous les micros intervalles. Un mouvement maîtrisé de la main droite permet ainsi, tout en jouant au clavier, de réaliser un vibrato contrôlé en temps réel, comme celui qu’obtenait Martenot avec son violoncelle.

Le clavier comporte six octaves visibles, extensible à neuf par l’emploi d’un interrupteur et de boutons transpositeurs. L’instrument peut ainsi produire des sonorités extraordinaires et des timbres très variés.

On en joue de la main droite, à l’exception de certaines œuvres dont la virtuosité nécessite l’emploi des deux mains. Le musicien a alors deux pédales au sol ( filtre progressif et touche d’intensité) reliées au tiroir et qui font office de filtre progressif et de touche d’intensité.

Un ruban parallèle au clavier autorisant les glissandi, tendu devant et tout au long du clavier, sorte de fil muni d’une bague que l’on enfile à l’index de la main droite et déplacée, en fonction de la note souhaitée, face aux touches du clavier, au- dessus d’une réglette sur laquelle on peut sentir des creux et des bosses qui servent de repères. Le résultat sonore est proche de celui produit par les instruments à cordes sans frettes ou par la voix : effets spéciaux, intonation lyrique, glissandi. Avec le ruban, Maurice Martenot a également mis en application une des bases de sa méthode d’enseignement : l’importance du geste. Ainsi, certains compositeurs dessineront des volutes graphiques sur leurs partitions qui, reproduites avec la main, donneront l’exacte traduction sonore.

Des diffuseurs (haut-parleurs transformés) :

Principal ou D1 : haut-parleur standard de grande puissance inventé avec l’instrument

Résonance ou D2 : date de 1980. Haut-parleur monté derrière des ressorts afin d’obtenir une résonance acoustique qui permet au son de se prolonger. Elle trouve son origine dans un diffuseur nommé Palme (D 4), mis au point en 1950. Toutes deux ont le même usage mais, sur cette dernière, deux rangées de 12 cordes en métal, accordées chromatiquement et tendues de part et d’autre d’une caisse de résonance en forme de flamme, vibrent par sympathie.

Gong, D3 ou métallique : inventé vers 1930. Haut-parleur dont la membrane est remplacée par un gong (sons métalliques) mis en vibration par un moteur. Le métal fait office de membrane de haut- parleur et les notes jouées produisent un halo.

Palme D4 : pièce de lutherie sur laquelle sont tendues (devant et derrière) des cordes métalliques accordées très précisément et reliées au moteur du haut-parleur. Les vibrations entrant en résonance par sympathie.

Un tiroir avec différents timbres pour ltrer et modi er le son et créer des combinaisons (ajout d’harmoniques paires et/ou impaires)
L’ondiste y contrôle les paramètres de sa main gauche et peut aussi y gérer le volume sonore grâce à une touche d’expression contrôlable, extrêmement sensible. Elle permet de passer, en deux centimètres de course, d’un niveau sonore quasi inaudible à une intensité qui peut atteindre le seuil de la douleur (de l’extra-doux à l’extra-fort) et par des pressions plus ou moins fortes, sèches, permettant des articulations du molto legato au très percuté; elle agit comme le bouton de volume d’un poste de radio.

Elle est un prolongement de la pensée de l’interprète qui permet de réaliser nuances, phrasés et attaques les plus variés (accents, liaisons, détachés, piqués, percutés…).
Le musicien doit, selon une synchronisation très particulière, enfoncer les touches du clavier (ou jouer au ruban) et la touche d’intensité pour faire entendre un son. L’action de cette touche est, en définitive, semblable au fameux archet du violoncelle cher à Martenot.

Le timbre « ondes » constitue le timbre de base de l’instrument utilisé le plus souvent.

Près de la touche d’intensité se trouvent sept interrupteurs qui commandent le choix des formes d’ondes (les sonorités) et leur mélange, permettant ainsi de nombreuses combinaisons de timbres.

Sur le dernier modèle (1975), des lettres remplaceront les chiffres :
O pour Ondes (sinusoïde),
C pour Creux (signal triangulaire écrêté),
g pour petit gambé (signal carré dont l’intensité est réglable grâce à un curseur),
G pour Gambé (signal carré),
N pour Nasillard (signal impulsionnel),
8 pour Octavian (renforcement du premier harmonique dont l’intensité est réglable grâce à un curseur) et
T pour Tutti (mélange de tous les timbres).

Deux interrupteurs permettent d’obtenir un bruit rose d’intensité variable, comparable à un souf e (S) et de ltrer (F pour feutre) les harmoniques, créant un effet de sourdine.

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De haut en bas et de gauche à droite

R : jeu «Ruban»
Molette de dosage des résonances D2
Molette de dosage du timbre «Souffle / Bruit Blanc»
1-2-3-4-5 : Dosage du timbre Octavian (8)

D3 : Gong ou Palme
D2 : Résonances à ressorts D1 : Diffuseur principal
T : timbre Tutti
G : Grand-Gambé
8 : Octavian
N : Nasillard
C : Complexe
O : Ondes
g : Petit-Gambé

1-2-3-4-5 : Dosage du timbre Petit-Gambé (g)

LA TOUCHE D’EXPRESSION
(Invisible sur la photo)

S : timbre «Souf e / Bruit Blanc»
Aiguilles (3) : Uniquement sur de très vieilles ondes, transposition aléatoire du son
Transpositions : Sur les ondes récentes, permet une transposition rapide de la note jouée (Quart-de-ton inférieur, Quart-de-ton supérieur, Demi-ton, Ton, Tierce Majeure, Quinte juste)

Six autres boutons transpositeurs permettent une action instantanée, individuelle et cumulable sur chaque note : quart de ton inférieur et supérieur, demi-ton, ton, tierce et quinte supérieurs.

Quatre interrupteurs, situés au dessus du clavier, permettent de sélectionner un ou plusieurs diffuseurs (D1 à D4). On peut régler le mixage entre eux au moyen d’une molette.
Le résultat sonore est proche de celui obtenu par les instruments à cordes sans frettes ou par la voix : glissando ininterrompu ou esquissé sur toute la tessiture, effets spéciaux, intonation lyrique, micros intervalles, vibrato… (violoncelle)

Sept modèles apportèrent des améliorations successives

L’instrument de 1919 – sorte de theremin peu viable selon lui, ne fut pas comptabilisé par Maurice Martenot.

Le premier modèle officiel sera celui de1928. Il n’est alors pourvu que d’un ruban que le musicien tire ou relâche de sa main droite pour glisser d’une note à l’autre. Il joue debout, à distance, et contrôle de sa main gauche l’intensité grâce à la touche située dans le tiroir alors posé sur une table.

Le deuxième modèle (1929) est plus compact et Martenot dessine un clavier actif sur lequel se déplace un curseur qui identifie les notes jouées au ruban.

Sur le troisième modèle (1930), l’interprète peut jouer assis ou debout, le ruban étant placé au-dessus d’un clavier toujours aussi actif, sculpté dans le bois et servant de repère visuel.

Le quatrième modèle n’a plus de ruban mais est doté d’un clavier réel et mobile.

Le cinquième (1937) réunit enfin le clavier réel et le ruban.
Cette même année, Olivier Messiaen composa sa « Fête des Belles Eaux pour six ondes Martenot », jouée sur un bateau en mouvement lors de l’Exposition Universelle de Paris.

En 1947, une classe d’enseignement fut créée au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, suivie d’une dizaine d’autres en France dont Lyon, contribuant ainsi à la reconnaissance of cielle de l’instrument..

Le sixième modèle (1955) est plus petit et léger grâce aux progrès de l’électronique.

Le septième et dernier modèle (1975) adopte les transistors à la place des lampes. Ce sont ainsi près de 370 ondes Martenot qui virent le jour dans l’atelier de la rue Saint Pierre, à Neuilly- sur-Seine (France).

La production de l’instrument s’arrête dé nitivement en 1988, à la retraite de Marcel Manière, assistant depuis 1951.
Jean-Louis Martenot, l’un des ls, entreprend la réalisation d’un instrument numérisé sans suite. En 1995, l’ingénieur Ambro Oliva commence à élaborer l’Ondéa, instrument proche des ondes, dont le prototype fut présenté en 2003 au Salon de la Musique de Francfort (Allemagne).

Bien qu’électrique et inventé au XXème siècle, les Ondes Martenot sont considérées comme instrument de musique classique car il exige la présence d’un interprète humain donnant vie aux sons engendrés avec expressions, nuances, sensibilité…

Pour résumer, il se joue de deux façons !

Au clavier, comparable au piano, si ce n’est les touches plus petites et son attache suspendue permettant un vibrato par l’interprète.

Au jeu à la bague (ruban), parallèle au clavier et créant par les mini-glissandi un effet très proche du legato vocal.

Le jeu est complété par :une touche d’expression qui gère le volume sonore par la main gauche ; pression plus ou moins forte, plus ou moins sèche, pour obtenir toutes les variations de nuances et d’articulations.; un tiroir avec différents timbres pour ltrer et modi er le son, et créer des combinaisons.

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Répertoire

Plus de 1500 œuvres dans des domaines très variés : musique contemporaine, chanson, musique de lm, théâtre, danse, rock, génériques radio, télévision, publicité… Parmi les compositeurs les plus connus: D. Levidis (1928) P. Boulez (lui-même ondiste), E. Bernstein, S. Bussotti, J. Canteloube, J. Chailley, J.Charpentier, M. Constant, H. Dutilleux, N.T. Dao, A. Honegger, O. Messiaen, D. Milhaud, T. Murail, N. Obouhow, B. Parmegiani, F. Rauber (chansons de Jacques Brel), M. Ravel (qui autorisa plusieurs arrangements de ses oeuvres: Ma Mère l’Oye, Quatuor à cordes, Sonatine pour piano), H. Sauguet, G. Scelsi, Y. Taira, H. Tomasi, E. Varèse, P. Vellones…

Bibliographie

• WIKIPEDIA – Ondes Martenot
• Maurice Martenot
• Ondes musicales Martenot, par Jean Laurendeau • Cercle Inter Ondes Musicales
• Union des Enseignements Martenot
• Thomas BLOCH