Rencontre : UN AMERICAIN A PARIS : Jeff WHITELEY

163684_80-X2Non !… Il ne s’agit pas  de la comédie de 1951 dont la musique ne pouvait être autre que celle de George  Gershwin qui enchante encore nos oreilles.

 Jeff et moi communiquons depuis quinze ans…

Il est le fondateur du groupe Lark and Spur, mais aussi du célèbre mouvement Excellence in the community dont les scènes sont de plus en plus prestigieuses.

Lark & Spur commence en duo en 1984 lorsque Jeff Whiteley – guitare acoustique – et Lori Decker – chant, mandoline et twin whistle – effectuent des concerts dans les rues de Paris, de Munich et d’autres villes européennes. Certains titres sont alors enregistrés et diffusés par une station de radio française. À leur retour dans l’Utah, Lark & Spur ajouteront d’autres musiciens.

 

 

00000003_0001  Jeff est amoureux de Paris, de la France. Il y fera des concerts dans les bars, dans le métro, et Lorie – chanteuse à la voix cristalline qui nous émeut très fortement – deviendra son épouse.

Jeff l’accompagnera alors sur scène dans un registre jazz, pop souvent teinté de celtique : ballades émouvantes scottish et irlandaises, dont la célèbre “Will ye go Lassie go

 

 

 

 

 

 

 

Aux USA, Jeff se lancera dans un melting-pot jazzéïforme avant de créer, à Salt Lake City, ce très grand mouvement qu’il nommera EXCELLENCE IN THE COMMUNITY où il produira des grands noms du jazz américain, mais aussi issus d’autres pays grâce – on peut le dire – à des subventions que la France est incapable de fournir.

 

00000002_0001Les meilleures scènes, trop nombreuses pour être toutes mentionnées, resteront la France et la Suisse en 1996 avec des tournées européennes pour son big band puis, en 1997, Deauville, Brienz, Montreux Jazz Festivals.

Des Radios, des TV avec des apparitions à Paris, Genève, et Annecy ; à Juan les Pins.

Lark and Spur seront résidents dans les années 90 au River Horse Caf à Park City et à l’Erickson Lodge à Deer Valley.

A noter une bande sonore pour un documentaire produit par l’État de l’Utah.

Diplômé de Français, il excelle dans cette langue et il me tarde de vous faire découvrir sa dernière lettre que nous publions sans retouches ni corrections, qui relate ses aventures dans notre pays.

 

 

Une courte leçon en alchimie

Nous étions trois, nous étions jeunes, nous étions musiciens américains. Deux guitaristes, et une belle chanteuse qui jouait aussi de la mandoline. Nous voyagions en France. Ce jour là nous nous trouvions dans le coin de Jouars-Pontchartain, un joli village dans la région des Yvelines environ 35 kilomètres de Paris. Un beau restaurant a attiré notre attention. Le Passiflore. 

J’ai demandé le gérant. 

« Monsieur, nous sommes musiciens professionnels des États-Unis. Nous sommes de passage. Nous pourrions chanter dans votre bel établissement ce soir, si les conditions sont mutuellement bénéfiques et acceptables. »

 « Non, non, non. C’est pas possible. ici il s’agit d’une belle table et une bonne ambIance. Nous n’avons pas besoin de musique. Notre cuisine, notre accueil, et notre réputation suffisent. Votre proposition ne m’intéresse pas. »

J’ai produit une cassette, un appareil Walkman et un casque à écouteurs. « Écoutez 10 secondes. C’est tout ce que je vous demande. » 

Il s’agissait de notre interprétation d’une chanson de Michel Legrand, What are you doing for the rest of your life? Je ne savais pas en ce moment à quel point cette chanson marquerait ma vie. 

Le gérant a mis les écouteurs. 10 secondes se sont écoulées, puis 20, puis 30. 

«Effectivement c’est une musique de grande qualité. Pourriez vous commencer à 20 heures? »

* * *

Où commencer? Au début peut-être. Aux États Unis. 

Peu après avoir reçu ma diplôme de l’université je n’arrivais pas à dénicher un emploi. Sans  beaucoup de possibilités sur l’horizon figuratif, je me suis orienté vers l’horizon actuel. J’avais un ami qui travaillait comme photo-journaliste pour la Press Associée à Paris. Je lui ai écrit.  Je lui ai demandé s’il pouvait m’abriter pendant une visite de deux semaines. Recevant une réponse positive, j’ai acheté une carte Eurail, j’ai plié les valises, j’ai pris ma guitare sèche, une arrière pensée, et je me suis rendu à l’aéroport de Salt Lake City. Destination Paris. 

Peu après mon arrivée à la ville de lumière les perturbations internationales, et ses patrons à la Presse Associée ont obligés mon ami de quitter la France pour photographier l’actualité outre-mer . Et puisqu’il y avait beaucoup d’actualité à photographier mon ami devait partir souvent, et souvent en hâte. « Vous pouvez rester jusqu’à ce que je retourne.  N’abîme pas l’appartement. »

Il ne revenait que de temps en temps, seulement pour un jour ou deux, et alors il repartait soit pour l’Égypte, l’Argentine, le Suède, l’Angleterre . . . 

Je gardais l’appartement propre. Mais je n’avais assez d’argent que pour deux semaines, la passe Eurail, et la guitare. Les voyages de mon hôte se prolongèrent. Que faire pour prolonger les miens? C’est alors que j’ai commencé à chanter dans les rues et les stations de métro. Le choix était évident, trouver de l’argent ou quitter Paris. Trouvant à mon goût les reflets du Pont Neuf et sa belle illumination dans la Seine nocturne, je me suis mis à entamer une carrière d’artiste informel dans les stations du Métro.

D’abord j’étais moche. J’avais peur. Les piétons n’appréciaient pas la boîte de guitare ouverte à leurs pieds. Quand quelqu’un se présente comme artiste de rues, s’il est bon il anime la ville, il contribue à l’ambiance. S’il est mauvais, il ne contribue pas; il n’inspire que l’irritation, sinon de la pitié. Je n’étais pas bon parce que j’avais le trac. L’indifférence des piétons étaient plus forte que ma voix. Ça ne marchait pas. Je retournais à l’appartement souvent las et abattu. 

C’était le moment clef de ma vie. Un carrefour. Je savais qu’il fallait convaincre les passants à lancer les pièces de monnaie dans ma direction ou retourner aux États Unis. Mais une routine  s’établissait. Je chantais. Les gens m’ignoraient. Mes sous disparaissait, les leurs n’apparaissait pas. Cependant quand on est jeune, sans trop d’attaches, avec les clefs d’un appartement près de la Place Clichy, libre de explorer la langue française, la culture et la cuisine française, Paris quartier par quartier, il faut faire quelque chose. Mais que faire? 

Après beaucoup de réflection j’ai discerné une loi fondamentale des sciences économiques. Si on veut attirer l’attention du marché il faut présenter quelque chose de qualité. Ma présentation n’était pas une présentation de qualité parce que la gêne, le trac, la peur m’empêchaient de faire de mon mieux. Les questions se sont réduites à celles-ci: est-ce que mon mieux suffirait à changer la situation? Et comment faire de mon mieux? Comment surmonter la gêne? 

Il y a une expression en Anglais, « My back was against the wall » C’est à dire il arrive un moment où il n’y a plus rien comme options. On ne peut plus les éviter; on ne peut rien faire sauf faire face aux problèmes. Alor j’ai mis le dos contre le mur du métro corridor Montparnasse, et j’ai creusé au fond de mon cœur et mon âme pour prouver aux piétons et à moi-même que j’étais à l’hauteur comme guitariste et chanteur de changer une station de métro en salle de concert. Avais-je du talent suffisant de convaincre les gens pressés et préoccupés de tourner la tête, ralentir le pas, et puis s’arrêter pour assister à un spectacle qu’ils n’avaient pas inscrit dans leur plan du jour?

Il faillait traduire en musique ma joie en étant jeune, un participant avide au banquet mobile dont parlait Ernest Hemingway dans son livre, A Moveable Feast, un guitariste américain qui se débrouillait en Français à la découverte de Paris. Il fallait traduire le trac en audace, ma haleine en chanson, ma rigidité en danse, ma pénurie en richesse. C’était la quête ancienne de l’alchimiste. 

Je me souviens du premier piéton qui a ralenti le pas. Je chantais une chanson des Beatles, « I should have known better ». Je jouais d’une guitare Martin D-35, dotée d’une sonorité basse étonnante. Je chantais. Les gens passaient. La mélodie s’approchait à la note la plus haute de la chanson. Ma voix sonnait haute et juste. Un monsieur s’est arrêté. Peu après un autre s’est arrêté pour découvrir pourquoi le premier s’était arrêté. Bientôt il y avait le début d’une foule. Et puis il y avait un concert. 

Si on va chanter dans les rues et corridors du métro à Paris, sa joie comme artiste doit être plus forte que l’indifférence des piétons. C’est alors que j’ai appris le secret des alchimistes. «L’essentiel est invisible aux yeux » comme disait le renard de Saint Exupéry. La joie à l’intérieur doit brûler si ardemment que les obstacles qui l’empêchent de se faire voir à l’extérieur disparaissent. Je me suis mis à brûler les obstacles intérieurs. J’ai changé ma peur en joie, et sans mot dire les pièces de monnaie venaient vers moi.  

Les années se sont écoulés d’une manière à soulignée la sagesse de Marcel Proust. Aux États Unis j’ai fait la connaissance d’une chanteuse avec la voix d’un ange. Je lui ai dit, « si tu chantais dans les rue de Paris, quelque chose de merveilleux arriverait. » Elle m’a surpris en répondant, « allons voir. »

Alors nous sommes allés en France, moi avec la guitare Martin D-35, elle avec sa mandoline et sa voix angélique. Nous chantions d’abord dans les rues de Annecy, tout près de l’entrée d’une caserne de policiers. Ça marchait comme j’avais prévu. La voûte ajoutait un écho et une amplification sinon un miroitement à nos voix. Les policiers souriants étaient parmi l’assistance. Quelqu’un affilié avec une station de radio pirate à enregistré notre premier concert. Le lendemain soir, une personne s’est approché après une chanson, « c’est dinque, que c’est dinque! C’est comme si Barbara Streisand chantait dans une ruelle. » Une autre s’est approchée . « Seriez-vous intéressés à  passer aux ondes de la télévision? » 

Oui. 

Maintenant, comme on dit en Anglais, « the plot thickens » l’affaire se corse. Au lieu de rester en France, nous sommes retournés aux États-Unis.

La chanteuse et moi, après avoir apprivoisé plus de 200 chansons, avons déterminé que nous n’aurions ni la patience ni le désire de refaire un tel répertoire avec d’autres. Nous nous sommes mariés. 

Nous retournions souvent en France et l’avenir se dressait prometteuse à l’horizon. Nous avions ajouté d’autres musiciens, nous avons fait les festivals de jazz à Deauville, à Juan les pins, à Montreux. Nous étions invités à participer à la fête de l’humanité à Paris. Nous nous  préparions pour une autre tournée en Europe quand mon épouse m’a appris une nouvelle aussi bonne qu’inattendue. Nous allions devenir parents. Ce qui représente un bonheur pour une famille, peut aussi représenter une complication pour des artistes. 

Il fallait annuler la tournée. 

Nous sommes heureux et fiers de notre fils, et selon les mots du poète Robert Frost, « Way leads on to way ». 

Nous n’avons jamais atteint comme artistes aux États Unis ce que nous croyions possible en France. Et ce que nos expériences en France suggéraient. Malgré d’innombrables présentations en Utah, rien d’important ne nous est arrivés. Nous devions embrassé des emplois traditionnels pour survivre tout en faisait de la musique le soir. 

Les années se sont écoulés d’une vitesse étonnante. Après plusieurs échecs en affaires, je me suis trouvé à 50 ans sans grandes perspectives pour l’avenir. Alors, des cendres de ma carrière d’homme d’affaires s’est levé une phénix aux plumes étincelantes, aux couleurs que j’avais vues pour la première fois dans les stations de métro de Paris. 

Pour établir un peu de contexte il faut comprendre que l’état d’Utah joui d’une grande richesse en paysages variés, iconiques et monumentales. Il s’agit des vistas panoramiques de Lucky Luke et du Marlborough Man, des montagnes rocheuses, des déserts, des forêts, des canyons, des cieux clairs et étoilés au point où la voie lactée se présente comme une bannière infinie. Beaucoup reconnaissent l’Utah pour ses resources naturelles. Mais c’est moins évident que les prouesses des artistes d’Utah soient aussi bien reconnues. La proximité des avantages de la grande nature persuade beaucoup de musiciens de grande qualité de rester en Utah, musiciens qui autrement partiraient pour les centres artistiques comme Los Angeles, Chicago, New York, San Francisco et Nashville. Donc il y a une richesse artistique à la même hauteur que nos montagnes. Mais cette richesse, puisque qu’elle se présente loin des centres médiatiques des États Unis, n’est pas bien connue. Inconnue même par les résidents et les dirigeants de l’état. 

En 2007 un article du journaliste Gene Weingarten est apparu aux pages du célèbre journal le Washington Post, sous le titre « Pearls Before Breakfast ».  L’auteur et ses éditeurs ont persuadé Joshua Bell, le célèbre violoniste de jouer de sa Stradivarius dans une station de métro à Washington DC pour voir ce que feraient les piétons américains lors d’une confrontation improvisée avec la grande musique, et un grand musicien. 

Dans le naufrage des mes affaires l’idée m’est venue à l’esprit que je n’avais pas échoué comme musicien. Nous montions régulièrement des spectacles de grande qualité,  mais dans les circonstances qui n’étaient pas toujours à l’hauteur de la présentation. J’ai conclue, comme disait l’article mentionne ci-dessus, qu’en générale le public américain dépend trop des médias pour orienter son attention. Autrement dit, très peu de piétons dans cette station de Metro à Washington DC semblaient capable de reconnaître la qualité de la présentation du jeune homme en jeans,  tee shirt et casquette de baseball qui jouait d’un violon Stradivarius qui valait plus de 3 millions de dollars, un musicien d’un renommé internationale dont un concert à Carnegie Hall ou au Kennedy Centre obligerait un billet de $100 ou plus.

Je suis allé au Maire de Salt Lake City avec une variation de ce thème:  « Monsieur le Maire, puisque vous désirez une bonne réputation pour votre ville, et puisqu’il y a de millions de visiteurs qui viennent en Utah chaque année, et puisqu’il y a beaucoup de musiciens de très grand qualité ici, mettons les musiciens là où les visiteurs puissent les trouver. »

En 2005 j’ai fondé une organisation bénévole (à but non lucratif) pour les musiciens d’Utah, Excellence in the Community,  avec l’objectif de mettre les meilleurs musiciens d’Utah sur des scènes professionnelles et d’inviter les visiteurs et les résidents de profiter de leurs accomplissements. Nous disons souvent lors de nos présentations, En Utah nous n’avons pas beaucoup de célébrité mais cela ne nous empêche pas de poursuivre l’excellence artistique. 

Jusqu’à aujourd’hui nous avons monté plus de 650 concerts en Utah, mettant en vedette et sur scène une grande variété des meilleurs artistes d’Utah. Depuis 2012 tous nos concerts ont été offert au public sans prix. Autrement dit les sociétés, les gouvernements, les fondations charitables et beaucoup d’individus de tous milieux, ont compris la valeur de notre idée au point où leurs contributions couvrent maintenant tous nos frais, y compris les prestations de nos artistes, et le prix d’entrée pour le public. Tous sont invités à titre gratuit. 

De la boîte de guitare ouverte et vide aux pieds des Parisiens dans la station de métro Montparnasse, plus de 4 millions de dollars sont apparus pour payer les musiciens d’Utah qui avaient tout sauf un public qui les apprécierait. Parfois il faut un certain cadre et une certaine perspective, une certaine lumière pour apprécier un tableau à sa juste valeur. 

J’aimerais toujours la France pour cette grande leçon, une leçon fondatrice pour ma vie et carrière. En France les gens, comme le gérant du Passiflore, s’arrêtaient pour la qualité, peu importe le contexte où se présentait cette qualité. C’est à dire ils ont en eux-même, à cause de la culture, l’histoire, et l’éducation le sens et le désire de faire de la place pour la beauté, même  dans un horaire chargé, même dans un corridor de métro. C’est pourquoi j’aime tellement la France

Jeff Whiteley

Chef d’orchestre Lark & Spur

Fondateur: Excellence in the Community

 

 Galleries de photos, CD, Biographie:
Larkandspur.com.

Concerts d’artistes Jazz d’Excellence in the Community:
excellenceconcerts.org

2 réflexions sur “Rencontre : UN AMERICAIN A PARIS : Jeff WHITELEY”

  1. Merci bien Welikemusic.net pour votre compte rendu sur Monsieur Whitely et la belle leçon que la France lui a donné.

  2. Cher Paul,
    Nous vous remercions de l’intérêt que vous avez porté à notre magazine et à l’article paru sur Jeff Whiteley dont nous avons suivi la carrière.
    Un artiste humble et d’une grande valeur tout comme Lori.
    A bientôt
    L’équipe WLM

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