UNE ETUDE : LES BOIS DE GUITARE – Partie 2

PARTIE 2

Les bois utilisés pour les instruments – particulièrement les guitares – sont souvent méconnus, créant ainsi certaines difficultés quant à leur choix. Leur importance est pourtant capitale tant pour la solidité que pour le son. Pour exemple, Doc Watson et Clarence White (redoutables flat-pickers) enregistraient leurs albums sur des instruments en acajou et se produisaient en concert sur des modèles en palissandre. Weissenborn que représente aujourd’hui Ben Harper, restera fidèle au bois de Koa pour ses lap-slide-guitars.

La table d’harmonie

Vecteur principal de la transmission des sons, les bois de résonance constituant la table d’harmonie – souvent de la famille des conifères – épicéas, cèdres, pins et autres séquoias – auront un excellent rapport rigidité/faible masse qui communiquera bien les vibrations avec une réelle couleur sonore et un bon sustain. Une table en cèdre et une autre en épicéa apporteront aux instruments des sonorités diamétralement opposées. Pour preuve de cette importance, le célèbre luthier espagnol Antonio de TORRES (1817-1892), pionnier de la guitare classique, démontra l’importance de la table à des musiciens sceptiques, en construisant une guitare à la table en épicéa et aux éclisses et fond en papier mâché. Les guitaristes, surpris, la décriront comme très bon instrument. En guitare folk, le bois le plus fréquemment rencontré est le Sitka adopté par la majorité des firmes américaines pour leur brillance de sonorité et de projection, une attaque franche et supportant toutes les vigueurs guitaristiques. Les guitares classiques et folks de fabrication européenne adopteront l’épicéa européen (Allemagne, Autriche, Vosges, Jura) reconnaissable par sa blancheur. Apprécié des finger-pickers, sa densité légèrement inférieure à celle du Sitka, alliera une grande sensibilité à un son moelleux et doux tout en réagissant très bien à une attaque même particulièrement légère mais perd toutefois un peu de clarté lorsqu’il est soumis à un jeu très dynamique.

Fond et éclisses

Le choix de certains bois pour le fond et les éclisses est moins critique que pour celui de la table d’harmonie mais Ils personnaliseront le son en apportant une certaine coloration, favorisant un registre précis ou améliorant le sustain. Ils agiront en tant que résonateur sympathique dont les oscillations contribuent considérablement au mélange harmonique, donc avoir un effet énorme sur la tonalité globale de l’instrument. A cette fin, on utilisera des bois durs. La façon dont le bois est coupé et séché, son épaisseur, les différentes qualités pour une même essence, le choix du barrage, seront d’une grande incidence sur le résultat final.

Le choix des bois

Le palissandre de Rio, mythique en voie d’extinction (espèces légalement protégées, six à sept fois plus onéreux que le palissandre des Indes), était jadis le seul palissandre utilisé par les luthiers et les ébénistes. Couleur « pain d’épices », magnifiquement veiné, base des vieilles Martin et des guitares classiques de concert, ce bois associe à ses qualités esthétiques, une projection sonore remarquable et des basses profondes et généreuses.

Devant sa raréfaction, les fabricants se tourneront donc dès 1965 vers celui des Indes – l’actuel standard -, variant du pourpre au brun violacé avec des veines serrées et régulières, bien plus stable, de densité comparable, d’aspect beaucoup plus sobre, aux caractéristiques sonores proches du Rio, mais de projection moindre.

Le koa, une variété d’acacia provenant des îles Hawaii, de couleur brun-orangé avec de belles veines foncées, dont les plus belles pièces présentent des ondes profondes, est très prisé par les joueurs de blues et de bottleneck, sans parler de son adéquation avec les musiques hawaiiennes. Les ukulélés sont d’ailleurs en bois de koa.

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L’acajou (d’Afrique ou d’Amérique du Sud) est aussi un grand classique. Couleur brun doré aux reflets roses, de densité moyenne, il est très stable et procure un son clair comme dégraissé des basses souvent prépondérantes du palissandre. Très utilisées en studio, les guitares en acajou ne sont généralement pas aussi puissantes que leurs homologues en palissandre.

L’érable ondé Utilisé depuis des siècles dans la fabrication des instruments du quatuor (du violon à la contrebasse) souvent de variété sycomore et omniprésent dans les guitares de jazz, il a gagné peu à peu sa place en guitare acoustique. De couleur pâle avec des ondes très marquées, il se prête aux teintes les plus variées, du miel ombré au sunburst le plus raffiné. Associé à un manche lui aussi en érable ondé, il apportera un surcroît de sustain et de définition dans l’aigu. Sa puissance comparable à celle du palissandre en fait un concurrent remarquable, une alternative.

Le Western Red Cedar ou cèdre rouge provient essentiellement des forêts du grand nord Canadien. Contrairement aux épicéas, il est disponible en très grande quantité. De couleur brun clair à chocolat, il allie de remarquables qualités mécaniques : rigidité, légèreté, imputrescibilité, stabilité (une table en cèdre développe très rarement des fentes). Faire sonner une planche de cèdre produit un son cristallin avec un sustain interminable qui ne manque jamais de provoquer l’étonnement du néophyte. Le cèdre est en revanche très fragile et le moindre coup de médiator (flat-pickers) un peu rigoureux va le rayer profondément.

Très répandu en guitare classique (où il a supplanté l’épicéa) depuis une cinquantaine d’années, ce bois doit sa popularité à José Ramirez. Après la seconde guerre mondiale et devant la raréfaction de l’épicéa de qualité, ce luthier construisit une série de prototypes en cèdre.

Les guitaristes qui firent les tests furent très enthousiasmés : les guitares paraissaient débridées, contrairement aux épicéas qui ne délivrent leurs possibilités qu’au bout de quelques mois. D’une grande puissance sonore, leurs basses très rondes concourent à une sonorité flatteuse, toutes qualités très appréciées par les adeptes de Villa Lobos ou pour le répertoire espagnol en général.

Le cèdre a une moindre projection et un aigu moins clair que l’épicéa. Sa tonalité un peu sombre ne correspond pas à toutes les oeuvres et, en musique baroque ou romantique, l’épicéa règne encore en leader incontesté. En guitare folk, Georges Lowden l’utilisa le premier il y a déjà vingt ans.

En l’associant à un barrage réellement original, il a créé un instrument très sensible aux moindres nuances, équilibré avec beaucoup de réverbération. Ces guitares qui font le bonheur des amateurs de musique irlandaise ne sont pas très polyvalentes, joueurs de country ou de bluegrass s’abstenir.

En résumé, une guitare dont la table d’harmonie est en cèdre laisse rarement indifférent : ce sont des instruments à forte personnalité que l’on adore ou que l’on déteste.

La rosace

A chaque type d’instrument correspond une taille optimale d’ouverture selon le principe du résonateur de Helmholtz. Elle a pour surface celle correspondant à un cercle dont le rayon vaut le quart du rayon d’une sphère de même volume que la caisse de l’instrument. (V3 sphère = 4/3 de π R3 ou 4,1888 R3 (4/3 de π)) Ce chiffre correspondrait à la surface développée des ouïes d’un violon moderne.

La fréquence d’un violon évolue sauf erreur entre 343 et 1043 Hz. Celle d’une guitare (Mi grave au Mi 12è frette/6è corde = 82,4 à 659 Hz). Quel que soit le constructeur les caractéristiques sont voisines. Le luthier ajoute sa touche personnelle qui conditionnera le timbre de son instrument lié aussi à l’épaisseur des éléments, la nature du barrage, la nature et l’épaisseur du produit de finition, vernis, huile, vernis au tampon, nitrocellulosique, etc.

La fourchette de fréquence de l’instrument joue un rôle et génère le besoin de coefficients correcteurs. Le ratio entre le diamètre adopté par les luthiers et celui donné par l’application de la formule de HELMHOLZ donne un coefficient qui varie de 12 à 20% ; moyenne 17,1 %.

Elargir la rosace favorise les fréquences aiguës et la brillance. La réduire soutient les fréquences graves. Selon la surface de la table, augmenter la hauteur des éclisses de 1,5mm donnerait un surplus de volume à la caisse de 1 litre.

Dimensions moyennes des guitares classiques de grands luthiers

Caisse :

Volume # 13,3 litres (12,2 à 14,3l) Epaisseur au talon du manche # 90mm (85 à 96mm) Epaisseur au tasseau # 97mm (de 90 à 104mm) Surface table harmonie # 1411 cm2 (de 1336 à 1489)

Rosace :

Diamètre # 86,25mm (de 84 à 88,5) Leurs coefficients de correction : Torrès 16,8% Hernandez et Aguado 14,3% Fléta 12% Bouchet 16,5% Friederich 17,8% Romanillos 20% Hauser 20%

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Le ratio moyen entre diamètre de rosace et volume des guitares étudiées est de 6,3 avec pour extrêmes : FLETA 5.9 (qui favorise la puissance du son) et ROMANILLOS 6,9 (qui recherche un timbre libre et brillant plus Espagnol).

On peut en déduire une approche simplifiée du calcul de la rosace pour une guitare.

Volume de la caisse en litres X 6,3 = diamètre de la rosace (à ajuster lors du réglage final selon Fléta ou Romanillos).

Un pan coupé réduit le volume de l’instrument. Il nécessite une diminution du diamètre de la rosace proportionnelle à cette réduction.Si l’on souhaite garder un diamètre de rosace important, il faut accroître la hauteur des éclisses. A défaut la sanction est une perte dans la réponse aux fréquences graves.

Le diamètre de l’ouverture devra être ajusté avant finition afin que la « chambre d’air » de la caisse de l’instrument soit accordée à une note du diapason A440. (différente de celle de la table et du fond ).

On mesure cette note en frappant la table assemblée à l’instrument au niveau du chevalet (qui sera collé pour un chevalet fixe compte tenu de son impact sur la rigidité et donc la fréquence de la table). La mesure optimale de ce son sans sustain se fait avec un tuner du genre Peterson ou similaire. Augmenter le diamètre de l’ouverture élève la fréquence de résonance de la « chambre d’air » ce qui permet ce type de réglage. On pourra éventuellement rattraper un diamètre excessif en posant un filet en bordure de l’ouverture (rosace ou ouïes)

Calcul simplifié du volume d’une guitare

Surface interne de la table par hauteur interne moyenne (Hm) de la caisse Hm = (hauteur au talon + hauteur au tasseau) / 2

Calcul de la surface de la table

1) Avec du papier millimétré, reproduire la surface de la guitare moins l’épaisseur des éclisses et mesurer.
2) Mesure de surface à l’aide d’un planimètre, sinon découper en trapèzes que l’on additionne ou tout autre (Intégration, etc.).

Le rôle du barrage

Sans un barrage bien étudié, une table de guitare constituée de deux fines planchettes jointives d’épicéa ou de cèdre d’environ 3 mm d’épaisseur se déformerait en très peu de temps et ne pourrait supporter la traction des cordes, estimée en moyenne à 74kg en fonction du matériau et du tirant.

Les barres et renforts qui nervurent le dessous de la table d’harmonie d’une guitare ont une double fonction :

contrôler les déformations de celle-ci ;

répartir uniformément l’énergie fournie par les cordes.

Il va corriger la tonalité de la table. Chaque barre a une fonction, une épaisseur, une taille bien précise. On estime qu’une table fortement barrée (raide) favorisera les fréquences aiguës, et inversement une table souple favorisera les graves. C’est pour cette raison que les barrages sont souvent asymétriques, avec une plus grande rigidité du côté des aiguës.

Le barrage est constitué de différentes barres de hauteur et de largeurs différentes. Celles-ci sont collées à la table et sont en général de la même essence que la table (épicéa ou cèdre).

La quasi-totalité des guitares actuelles utilise des barrages inventés au 18ème siècle. Le barrage classique est encore fondé sur l’éventail d’Antonio de Torres (1817-1892).

Sans l’incontournable X de C.F Martin (1796- 1873), la guitare folk ne serait plus tout à fait la même…

Le Dr Kasha, chercheur en physique biomoléculaire, collabore avec Gibson dans les années 1970 pour commercialiser un système novateur : la série Mark qui possédaient un barrage extrêmement complexe et un chevalet asymétrique. Leur insuccès mit fin à la production en 1979.

Quelques principes peuvent aider à comprendre comment l’emplacement et le nombre de barres modifient la sonorité d’un instrument. Une table très souple, c’est-à-dire peu renforcée, aura une fréquence de résonance basse et favorisera les graves. On obtiendra un son certainement flatteur mais avec des aigus très pauvres et sans sustain. A l’inverse, une table trop rigide (trop barrée) va donner des aigus brillants mais sans chaleur. La somme des surfaces des trapèzes donne la 1/2 surface de la caisse de l’instrument Il sera admis pour la simplicité du calcul que la marge d’erreur entre la courbe réelle de l’instrument et le côté du trapèze compensera le volume du barrage, des blocs et tasseaux et la courbure de la table et du fond. Une trame de 2 à 3 centimètres entre les deux bases du trapèze donne un maillage constant permettant de faire un calcul relativement rapide.

Toutes les barres composant le barrage n’ont pas le même rôle, certaines n’ont qu’une fonction structurelle.

Barrage de type X Gibson

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1 : Le fameux X est bien sûr l’élément le plus important. C’est lui qui soutient la table et en détermine la rigidité.

2 : La barre a pour rôle d’empêcher I‘affaissement de la table dû au bras de levier formé par le manche ;

3 : Les barres sont considérées comme des éléments correcteurs de tonalité ; proches du centre de la table, elles vont la raidir et en favoriser les aigus; en les éloignant, ils vont l’assouplir avec effet inverse sur la réponse des fréquences.

4 : Les petits barrages latéraux limitent eux aussi les risques de fente.

5 : les trois petites renforcent la partie de la table évidée pour y incruster la rosace ;

6 : prévient les risques de fente dans l’axe de la touche.

7 : La petite plaque de renfort de chevalet en érable fortifie cet emplacement crucial au croisement du X. Elle empêche aussi les boules de fixation des cordes de détériorer la table. Tout le travail du luthier consiste à faire la synthèse de tous ces paramètres comme de ceux des bois composant la caisse afin d’arriver au meilleur compromis possible pour satisfaire les exigences musicales du guitariste.

Martin, Taylor, Gibson, Larrivée (Canada) et bien d’autres affineront leurs barres d’harmonie. Ce barrage allégé n’est en rien une nouveauté puisque C.F. Martin (encore lui…) l’utilisait déjà en 1850. Les cordes que l’on trouvait à cette époque n’étant pas en bronze, exerçaient des tensions faibles et nécessitaient des instruments légers et sensibles. Les années 40 virent l’apparition de cordes à fort tirant (14-60 pour des heavy) et beaucoup de tables d’harmonie ont cédé. Martin renforcera son barrage en 1944 sur tous ses modèles, réalisant ainsi des instruments très robustes mais ne donnant leur plein potentiel qu’avec des cordes dures.

A la demande de nombreux guitaristes finger picking, Martin réintroduisit le barrage allégé en 1976 en stipulant que toute utilisation de cordes heavy annulerait la garantie… Le principe du barrage allégé consiste à libérer la table d’harmonie au maximum, la débrider sans pour autant la laisser se déformer. Pour cela, le luthier ne va modifier que la partie inférieure de la table, laissant indemne la supérieure qui supporte la quasi-totalité de la tension.

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Les barrages de guitares à chevalet collé

Martin et Torrès ont été beaucoup copiés et déclinés, mais aucune nouvelle formule de barrage n’a vraiment convaincu par son efficacité.

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Barrages de guitare au 17ème et 18ème siècle le barrage a principalement un rôle mécanique

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Barrage classique en éventail inventé par Antonio Torrès pour guitares à cordes nylon

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Barrage classique en éventail revu par trois luthiers qui rajouteront des barres d’harmonie qui auront essentiellement un rôle acoustique

Capture d’écran 2019-04-04 à 21.36.35Barrage Martin en «X» Utilisé pour les guitares à cordes métalliques (folk) Le X permet une plus grande résistance exercée par la traction des cordes métalliques qui est plus importante que celle des cordes nylon. Ici le X a un rôle mécanique, les barres d’harmonies sont en bas de la table, quand aux petites barres latérales leur rôle est plus mécanique qu’acoustique, elles préviennent du risque de fendillement de la table.

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Barrage de Kasha et de Schneider
Deux tentatives qui restent intéressantes. Associé à un chevalet asymétrique, le barrage du Dr Michael Kasha, associé au luthier Richard Schneider, tente d’appliquer à la lutherie guitare la théorie de la mécanique des plaques (une plaque vibre en relation avec sa fréquence fondamentale propre: plus la plaque a une petite surface et plus sa fréquence est élevée et inversement). La table est considérée comme un conglomérat de plaques de différentes surfaces que les barres de dimensions appropriées vont mettre en mouvement.

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Barrage de Greg Smallman
Le luthier australien Greg Smallman propose un barrage en treillis en bois et matériaux composite sur une table très mince. Une structure rigide soutient l’ensemble.