UNE ETUDE : LES BOIS DE GUITARE – Partie 3

PARTIE 3

 

  • MANCHE GUITARE

La fixation du manche à la caisse est l’une des plus importantes et des plus délicates tâches d’assemblage qui doit être réalisée avec une très grande précision car la moindre erreur donnerait un instrument injouable

 

fixation du manche Les luthiers espagnols et de nombreux fabricants de guitares classiques ont adopté un montage très simple fort justement baptisé « à l’espagnole ». Dans cet assemblage, les éclisses sont insérées dans deux rainures pratiquées dans le bloc talon du manche. Devenant solidaire de la caisse, il est donc complètement indémontable.

La faible tension des cordes nylon, et donc le moindre risque de déformation de la table, autorise ce type de montage.

Il n’en va pas de même avec la guitare folk. En raison de ses 60 kg de tension minimum qui risquent de déformer la table d’harmonie, les fabricants de ce modèle de guitare opteront pour un manche rapporté, indépendant de la caisse et donc démontable.

Un réajustement du manche s’impose donc. Il s’agit de le déposer et de le recoller avec un renversement supérieur. Cette opération délicate et stressante est assez fréquente sur des guitares vintage et il n’est pas rare de trouver une Martin de plus de cinquante ans qui n’ait pas subi ce genre de lifting.

Sur le plan sonore, on ne peut pas dire que l’influence du mode de fixation soit prépondérante, seule importe la qualité de la réalisation.

Tous ces différents modes de fixation ont fait leurs preuves depuis longtemps et le choix de l’assemblage dépend de nombreux facteurs.

 

Les trois assemblages les plus répandus à l’heure actuelle sont :

Fig. 1 : Le talon sans tenon vissé directement sur la caisse

Dans ce montage, deux écrous sont insérés et collés dans le talon du manche. Deux boulons vissés par l’intérieur de la caisse assurent la solidité de l’ensemble et quelques points de colle maintiennent la touche plaquée sur la table d’harmonie. Ce joint qui n’a évidemment aucune force mécanique se rencontre de plus en plus fréquemment chez les fabricants américains (Taylor, CoIIings).

Réalisé chez Taylor au travers d’une suite d’opérations contrôlées avec l’assistance d’un ordinateur, il impose une parfaite similitude entre les différents modèles, même largeur de touche par exemple et cela ne se conçoit que pour une grande série.

Fig. 2 : Le tenon droit avec écrou

Marie un tenon droit à une fixation également réalisée par un couple boulon-écrou (Mossman, Seagull).

Fig. 3 : Le classique tenon queue d’aronde

C’est le mode de fixation le plus répandu (Martin où seule la touche est collée. Gibson, Guild, Larrivée et la majorité des luthiers indépendants).

Ce joint, contrairement aux précédents, dépend uniquement de la précision de son ajustage ; bien réalisé, il peut résister à la traction des cordes sans même être collé. Les fabricants le collent toutefois pour pallier un éventuel retrait du bois. La touche est collée sur la table d’harmonie.

Le tenon queue d’aronde aura une grande souplesse et le joint pourra s’adapter à une commande spéciale, à profondeur de caisse différente ou à un talon plus étroit par exemple.

Fig. 4 : Un tenon droit reposant sur des tourillons

Montage peu connu rencontré sur les guitares Gurian. Il s’agit d’un tenon droit bien ajusté dans sa mortaise et bloqué transversalement par deux petits tourillons en ébène. Très élégant et efficace, il demande une grande précision car le tenon n’étant pas collé, toute la force de ce montage repose sur les tourillons.

 

  • LA TOUCHE

 

Composant de la plupart des instruments à cordes, c’est une longue et fine pièce généralement en bois plaquée sur le manche ou le corps de l’instrument et sur laquelle viennent s’appuyer les doigts pour modifier la longueur de la corde vibrante et donc la hauteur du son émis.

 

Sur les instruments à cordes classiques (violon, alto, violoncelle et contrebasse), la touche est traditionnellement en ébène.

Les touches en ébène, d’un noir absolu, deviennent rares.

A l’époque, ce bois provenait essentiellement du Gabon mais après une exploitation intensive et abusive, se trouve à présent en voie d’extinction, un  ébénier mettant environ deux siècles pour arriver à maturité.

Les négociants en bois tropicaux se sont donc tournés vers d’autres pays : l’Inde, le Sri Lanka, Macassar en Indonésie.

Ces variétés sont d’un point de vue botanique semblables à l’ébène du Gabon, mais présentent toutefois des différences esthétiques : veines très foncées voire claires avec une couleur parfois plus proche du chocolat que du noir.

Les fabricants de guitares ont dû s’en accommoder et teintent souvent leurs fournitures trop claires.

L’ébène possède toutes les qualités requises pour une touche d’instrument (violon, guitare, contrebasse). Extrêmement dense, très résistant aux chocs, son grain serré empêche à la sudation des doigts de pénétrer en profondeur et retient fortement les embases des frettes. Sa noirceur contraste agréablement avec les moindres incrustations de nacre, de plus il est facile à polir et son contact est extrêmement doux.

  • Des essences variées

Palissandre et autres bois très durs sont privilégiés.

Sur certaines guitares, le manche et la touche sont constitués d’une seule et même pièce de bois.

Certaines lutheries modernes utilisent des nouveaux matériaux comme la fibre de carbone ou l’ébonol.

  • Le palissandre des Indes ou du Brésil

    est un bon substitut à l’ébène et certains joueurs (particulièrement d’électrique) en préfèrent le toucher.

De densité moindre, plus stable que l’ébène, il est en revanche moins résistant à l’usure. Sa structure légèrement huileuse rend son polissage très aisé, il est parfois teinté pour imiter l’ébène mais ses pores ouverts le trahissent pour un œil exercé.

  • L’érable,

utilisé principalement en guitare électrique (maple-neck) est aussi un bon choix mais il demande à être verni pour n’être pas rapidement taché par la transpiration.

  • Le noyer

(la firme Ovation pour ses modèles Adamas en tant que touche et chevalet), de moyenne densité, a une structure homogène, se colle et se travaille très facilement en ménageant les machines outils. C’est une raison qui concerne plus le fabricant que le joueur mais c’est néanmoins un argument de poids pour une usine.

Il est évidemment hors de question (coût de revient oblige) de rencontrer de l’ébène ou palissandre sur une guitare de débutant. On a donc recours à des essences très courantes : poirier, hêtre ou sycomore qui sont ensuite noircies.

  • Les résines à base de phénol,

une alternative moderne surtout en électrique. Il s’agit d’un matériau synthétique extrêmement stable, totalement noir et ressemblant à s’y méprendre à l’ébène. Nul doute que ces dérivés ne prennent de plus en plus d’importance dans les prochaines années.

Les luthiers fabricant de guitares acoustiques, n’utilisant que de l’ébène, ne sont pas les mieux placés pour débattre des différences sonores qui peuvent exister entre une touche en ébène et une en palissandre.

Les fabricants d’électriques peuvent aisément intervertir plusieurs manches sur le même corps sont à même de tirer quelques conclusions.

La touche en ébène procurerait une attaque plus précise avec toutefois une extinction plus rapide de la note (moins de sustain) qu’une touche érable.

Le palissandre l’emporte pour la chaleur mais des trois, il est celui dont les notes sont les moins définies. Une généralité qui comporte nombre d’exceptions, sachant que le type de frette, la nature du manche et sa coupe ou sein même de l’arbre sont des éléments aussi importants.

 

Courbure

guitare

 

Profil d’une touche du sillet au chevalet. Schéma et paramètres essentiels

Très souvent, les instruments à cordes utilisent des touches, sillets et chevalets courbés pour augmenter la clarté du son sur chaque corde.

Typiquement, la touche est une longue planche au profil rectangulaire. Sur les guitares, ukulélés et autres instruments à cordes pincées, la touche semble plate et fine mais elle peut être légèrement courbée pour former une surface cylindrique ou conique avec un radius plus élevé.

Le radius mesure le rayon de courbure de la touche au niveau du chevalet.

La plupart des touches peuvent être décrites avec les paramètres suivants:

w1 — largeur au chevalet,

w2 — largeur au milieu du diapason (au sens de longueur de corde vibrante à vide),

h1 — hauteur au chevalet,

h2 — hauteur au milieu du diapason,

  r — radius (peut être variable).

Tous ces paramètres ont une influence sur le timbre de l’instrument.

graphe de la fonction r(x) des profils de touche

 

 

 

 

 

 

 

Graphes de la fonction equation.pdfpour des profils typiques de touche

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Frettes 

La touche peut en être munie. Petites barrettes métalliques placées perpendiculairement à celle-ci, elles sont encore nommées barrettes, barres de ton, frettes ou ligatures, autant de noms divers pour désigner un élément essentiel à la justesse et à la facilité de jeu d’une guitare.

Elles permettent d’émettre une hauteur de son fixée, évitant l’imprécision due aux doigts seuls. Elles peuvent être fixes comme sur la guitare ou la mandoline, mais aussi déplaçables comme sur le luth.

Une touche qui n’est pas frettée est qualifiée de fretless (basses fretless).

Certaines touches sont parfois hybrides, à la fois frettées et fretless (viole de gambe par exemple), ou composées de frettes asymétriques, non perpendiculaires au manche.

Les frettes modernes actuelles datent seulement d’une soixantaine d’années.

Du 16ème au 19ème siècle, les luthiers utilisaient du boyau de mouton qu’ils attachaient autour du manche. Les fabricants de luths et de viole de gambe emploient encore ce genre de frettage appelé aussi ligature. Le boyau a toutefois été remplacé par du nylon dans la plupart des cas.

Il faut attendre le début du 18ème siècle pour découvrir l’ancêtre de notre barrette. Les luthiers sciaient alors une série d’encoches dans la touche et y inséraient de fines baguettes faites de différents matériaux, du palissandre à l’ébène, en passant par l’os ou même l’ivoire sur certaines guitares baroques.

 

Frettes 187a

Fig.1 : Dès sa création en 1833, la firme Martin équipait ses instruments de tronçons métalliques insérés dans la touche : la bar fret. Ces barrettes très hautes et fines favorisent  une bonne justesse mais sont en revanche fort inconfortables et ne conviennent absolument pas aux adeptes du glissando.

C’est Gibson qui popularisera la frette actuelle vers 1930. La composition a du reste peu changé : 82% de cuivre et de zinc pour 18% de nickel. C’est ce dernier qui donne sa dureté et donc sa longévité à la frette.

Une barrette qui contiendrait 50 % de nickel la rendrait quasiment indestructible

mais serait assez vite impopulaire parmi les réparateurs qui vivent du refrettage et de la planimétries et la fabrication ne serait pas rentable.

La frette provient en effet de tiges de 3 mm de diamètre qui sont chauffées afin d’en ramollir l’alliage, puis étirées entre trois galets d’acier afin de leur donner le profil voulu. Ce pourcentage supérieur de nickel userait rapidement ces galets rendant ainsi prohibitif le prix de la barrette.

Fig.2 : Si la matière est donc la même, de nouveaux profils ont fait leur apparition : la frette étroite utilisée par Martin et sur les Gibson et Fender vintage. C’est une barrette qui privilégie l’intonation et le sustain.

Fig.3 :  Utilisée par lowden, Takamine et Gibson, elle facilite les  slide et le confort de jeu en général.

Frettes 187b

 

Fig.4 & 5 : La semi-jumbo est un bon compromis entre justesse et facilité. Une frette large posera bien plus de problèmes de justesse lorsqu’elle sera très usée qu’une frette étroite. En effet, le point de tangence entre la corde et la barrette qui est à l’origine au centre va se déplacer vers la tête (figure 5), modifiant ainsi la longueur utile de la corde. Un guitariste à l’oreille particulièrement exercée sera gêné par ce millimètre d’écart. La solution consiste à

ré-arrondir les frettes à l’aide de limes spéciales ou à les changer si elles sont vraiment trop plates.

Le refrettage est d’ailleurs une opération courante qui se justifie après une usure normale.

 

Fig.6 : La barrette triangulaire de Petillo, conçue pour une intonation la plus juste possible.

Frettes 187cEn effet, au contact des cordes, les barrettes vont s’user de façon fort variable : un guitariste de country qui équipe sa guitare avec des cordes de tirant 13-56 et qui pratique trois heures par jour peut être amené à refretter son instrument tous les deux ans. A l’inverse un amateur de blues qui monte du 10-47 gardera ses barrettes dix ans ou plus. Il n’y a cependant pas d’idéal, chaque guitariste apprécie plus ou moins tel aspect et choisit ses frettes en conséquence. Il faut dire aussi que la finition des frettes joue un grand rôle, aussi bien dans l’intonation que dans le confort.

 

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Touche scallopée (de l’anglais scalloped, festonné, de scallop, la coquille Saint-Jacques) 

On enlève une partie du bois de la touche entre les frettes afin de créer une forme en « U ».

Vu de côté, répété de frette en frette, cet évidement donne une impression de feston. Ainsi, les doigts du musicien et les cordes ne sont en contact qu’avec les frettes et non la touche, ce qui permet un jeu plus rapide et facilite l’exécution de bends.

L’apprentissage est plus long que sur une touche standard car il faut bien maîtriser la pression qu’on exerce sur les cordes : trop d’appui aura l’effet d’un bend, pas assez d’appui donnera un son amorti.

 

Le CHEVALET

Chevalets 189Bloc d’ébène ou de palissandre, le chevalet est un élément important pour  toute guitare acoustique. Il peut à lui seul modifier les caractéristiques de l’instrument. L’énergie transmise à la corde active la table d’harmonie par son intermédiaire. Etant collé, il fait partie intégrante de la table d’harmonie et peut être considéré comme un ultime barrage. Un chevalet trop lourd ou trop imposant bridera notre table et tout le travail d’allégement du barrage et d’affinement de la table peuvent-être réduits à néant.

Mais même tentantes, des dimensions minimales imposeront vite certaines contraintes : les pieds du chevalet doivent reposer sur les barres inférieures du X du barrage (en principe conçu pour…), nous imposant une longueur minimum de 15 centimètres. Quant à sa largeur, il est peu raisonnable de descendre en dessous de 2,5 centimètres compte tenu du sillet et des trous pour l’emplacement des chevilles.

Début du siècle, les premières guitares folk (Gibson, Martin ou autres Washburn) étaient équipées de chevalets minimalistes, le plus classique restant le chevalet pyramidal (deux petites pyramides qui ornent ses pieds…). Si ceux-ci n’entravaient pas les mouvements de la table d’harmonie, ils présentaient des défauts structurels. Leur faible largeur ne permettait qu’une compensation très symbolique et donc une justesse à l’avenant, insuffisante en tout cas pour les guitaristes actuels et la trop faible distance entre les trous des chevilles et le bord du chevalet était une source de fentes et de décollements, problème qui se rencontre plus souvent qu’on ne le pense sur certaines guitares vintage.

Consciente de ces problèmes, les firmes Martin et Gibson redessinèrent ce chevalet en le dotant d’une partie centrale plus importante : le Belly Bridge était né, apparaissant chez Martin dès 1929.

Besoin de se différencier ou détournement de brevet, Gibson choisit de le coller à l’envers, ventre vers le haut tandis que Martin s’en tenait au collage actuel.

Après plus de soixante ans de recul, force est de reconnaître que ce type de chevalet a fait ses preuves. Il est devenu le standard folk.

 

Le fendillement du bois

Subsiste encore le problème des fentes entre les trous d’emplacement des chevilles.

Les six trous percés tous les centimètres dans le fil du bois favorisent les fentes  et, pour un diamètre de chevilles trop conséquent, le simple fait de les forcer à chaque changement de cordes va inévitablement fendre le chevalet tôt ou tard.

Ce problème est fréquent sur les guitares dont les chevalets ont été abusivement rabotés et dont la hauteur mesure moins de 6 à 7 mm.

La firme Taylor et certains luthiers (Henderson ou Hoffman par exemple) ont résolu le problème en perçant des trous en arc de cercle.

Ovation, Takamine et Lowden s’inspireront du modèle classique et à se libéreront de la contrainte des chevilles en insérant tout simplement les cordes dans un plan parallèle à celui de la table (cordier). Un avantage : la plaque de renfort de chevalet peut être allégée et n’est plus grignotée journellement par les boules des cordes.

 

Remerciements pour les 3 parties des « Bois de guitares » à :
http://www.luthier-amateur.org/atelier27.php
http://www.guitareconcert.com/9701/39501.html
Les différents barrages de guitare par Jean-Luc Gagne
http://lerautal.lautre.net/journal/articlevielle/barrages.html
http://www.alain-queguiner.com/180.html