Crédit photo Alan Hiot
Lefty Dom est luthier, musicien, artisan, artiste aussi.
Son activité de lutherie nous a fasciné car il fabrique (et joue) de drôles de guitares, qu’on appelle Cigar Box Guitars (CBG).
Il s’agit d’instruments à cordes, bricolés avec ce que l’on trouve et dont la tradition nous arrive des Etats-Unis du XIXème siècle (voir encadré), quoique beaucoup de cordophones émanent d’autres pays.
Nous avons rencontré LEFTY DOM dans son atelier pour en savoir plus.
Nos lecteurs visiteront avec intérêt le site de LEFTY DOM
où ils trouveront ateliers, fabrications, originalités et concerts,
tout cela dans une grande simplicité, à l’instar de certains sites américains.
www.leftydom.com et www.ldleduo.com
Crédit photo Lefty Dom
UN PEU D’HISTOIRE…
La CBG est un instrument musical à cordes, bricolé, qui fait son apparition vers la moitié du XIXème siècle. Traditionnellement, la caisse de résonance se constituait d’une boite de cigares (d’où le nom de Cigar Box Guitar).
Le reste de l’instrument était fabriqué à partir de matériel et matériaux de récupération : les cordes, initialement une ou deux – voire trois -, provenaient le plus souvent de fils de coton d’un filet de pêche ou d’une moustiquaire de porte, et fixés à un manche à balais ou à une planche.
Les premières traces de CBGs datent des années 1840 – 1860, à une époque où les cigares étaient très à la mode aux États-Unis. Jusque-là, les cigares étaient transportés dans des barils ou des grands coffrets. Mais à partir de 1840, les manufactures commencèrent à les transporter dans des boites de plus petite taille, contenants 20 ou 50 cigares, très prisées, par la suite, pour fabriquer les CBGs.
Ces boites étaient souvent en bois de très bonne qualité (précieux) et avaient une très belle sonorité. De plus, le bricolage était le seul moyen pour de nombreux démunis (et créatifs !) de posséder un instrument avec lequel jouer du Blues.
En effet, la CBG est surtout emblématique du Blues des noirs de la première moitié du XIXème siècle et notamment des jugbands (groupes “pichets ou jarres”), groupes de musiciens jouant un mélange d’instruments classiques et d’instruments faits-maison.
Loin d’être simplement des instruments musicaux, les CBGs peuvent parfois se rapprocher de véritables oeuvres d’art, avec des décorations pyrogravées et au caractère tout à fait unique.
La CBG connait une renaissance pendant les années de la Grande Dépression de 1929.
Aujourd’hui, des CBGs sont toujours fabriquées par des luthiers spécialisés, tel que LEFTY DOM, et des festivals entiers leur sont même dédiés.
Interview de Leonarda Di Candia
Crédit photo Lefty Dom
WeLikeMusic (WLM) : Tout d’abord, d’où vient votre nom d’artiste « Lefty Dom » ?
Lefty Dom (LD) : Il y a une ancienne coutume dans le Blues qui consiste à se choisir un surnom. Comme je suis gaucher et que mon prénom est Dominique, j’ai choisi « Lefty » (qui signifie gaucher en anglais) et « Dom » qui est un diminutif de Dominique.
WLM : Depuis quand créez-vous des CBGs ?
LD : Je fabrique et vends des CBGs depuis 2013.
WLM : Comment avez-vous appris à faire ce métier ? Comment vous y êtes parvenu ?
LD : J’ai toujours été attiré par la lutherie, mais ma vie professionnelle m’a emporté vers d’autres horizons.
J’ai découvert les CBGs au début des années 2000, grâce à Philippe Renault, l’un des précurseurs en France de ce type d’instrument.
J’ai vraiment flashé sur ces instruments au look incroyable, apparemment faits de bric et de broc mais qui avaient un son superbe et original. C’est ça qui m’a plu.
Ce n’était pas des gadgets mais de véritables guitares avec leurs particularités liées au matériaux utilisés, au nombre de cordes (de 1 à 4) et à leur fabrication.
Les années sont passées et ce n’est qu’en 2012 que j’ai fabriqué ma première CBG, à l’occasion de l’anniversaire d’un de mes neveux. Je suis tout simplement allé sur YouTube, j’ai visionné des vidéos de fabrication et je me suis lancé.
Lorsque j’ai tendu les cordes de ma première guitare, j’ai eu un peu peur que tout craque, mais non ! tout s’est bien passé. Je me suis surtout surpris à constater que ça sonnait super bien !
Et puis, les choses se sont rapidement enchaînées. J’ai appris « instinctivement », sur le terrain, à force d’expériences (plus ou moins heureuses), de partages avec d’autres fabricants… Si on veut construire un instrument simple, ce n’est pas si compliqué, finalement…
Crédit photo Lefty Dom
WLM : Considérez-vous ce métier similaire à celui d’un artiste ?
LD : C’est plutôt de l’artisanat. En ce qui me concerne, l’activité de création de CBGs est intimement liée à mon activité de musicien.
Je fabrique peu de guitares par rapport à certains collègues, mais ce sont toutes des pièces uniques et bien souvent, j’essaie de « pousser le bouchon » un peu plus loin en essayant d’inventer quelque chose ou en travaillant tel ou tel aspect de l’instrument.
Ce qui est essentiel pour moi c’est de tomber littéralement amoureux de l’instrument que je construis et bien entendu qu’il sonne comme je souhaite ! Alors dans ces conditions, j’aime bien l’idée d’artisan/artiste pour me définir.
Crédit photo Lefty Dom
WLM : Pouvez-vous me décrire quelques modèles qui vous semblent plus intéressants ?
LD : Pas simple… Il y en a tellement ! Par exemple, sur une idée de mon fils, j’ai réalisé une guitare à une corde composée d’une boîte de cachous et d’un crayon. Elle est même amplifiée avec un piézo et fonctionne. Ou encore une guitare constituée d’une très grande boîte de film (35 mm) et de 3 manches (1 basse, 1 guitare à 3 cordes et 1 guitare avec accordage du type dulcimer). C’est un instrument destiné à être utilisé avec une loop-station.
On peut aussi citer les « Mu-Sticks » qui sont des instruments de voyage, petits, sans corps mais amplifiés. On peut, malgré tout, les jouer en acoustique ou les relier à son téléphone portable. Ces guitares sont conçues pour tenir dans une valise ou un sac de voyage.
Dernièrement, j’ai également fabriqué une guitare à 1 corde de nylon avec une bouteille transparente de shampoing et un bambou, amplifiée avec un piézo.
Ce serait faux de dire qu’on peut fabriquer des guitares avec n’importe quoi, mais avec beaucoup de matériaux, oui !
Crédit photo Lefty Dom
Crédit photo Lefty Dom
WLM : A l’occasion de l’édition 2019 du festival « Blues sur Suresnes », vous avez fabriqué une guitare acoustique / électrique qui a été offerte au gagnant d’une tombola. Pouvez-vous m’en dire plus ?
LD : J’ai fabriqué une guitare à 4 cordes frettées pour le festival Blues sur Suresnes à la demande de son président, Behgam Kazemzadegan.
C’est un modèle unique dont la table d’harmonie a été décorée avec une reproduction de l’affiche du festival. L’instrument a été gagné à l’issue d’une tombola organisée le jour où j’ai donné un stage de fabrication de CBGs lors du festival en mai 2019.
C’est une année un peu particulière pour moi puisque j’ai également réalisé une guitare pour le festival « Blues d’Automne en Rabelaisie », à côté de Chinon, qui a été mise aux enchères.
Crédit photo Alain Hiot
WLM : Dites-moi plus du groupe musical dont vous faites partie.
LD : Ça s’appelle « L.D le duo ».
Comme son nom l’indique, L.D est un duo constitué de Lionel Da Silva (harmonicas, cajon, basse et chant) et moi (CBGs, basse et chant).
L’originalité de ce duo est l’utilisation d’une loop-station qui nous permet d’enregistrer cajon, basse, choeurs, etc. en live et de jouer et de chanter dessus. Ce qui nous permet de « gonfler » notre son et de donner l’impression d’un son de groupe complet.
On joue dans des festivals, de petites salles…
Pour les concerts, on essaie de privilégier la qualité des lieux « à valeur humaine augmentée ».
Notre style est plutôt blues mais pas que… On est d’ailleurs en train d’enregistrer notre futur album et celui-ci sera intégralement en français (sortie prévue en mai 2020). Sur scène j’utilise uniquement des « box guitars » de 1 à 4 cordes, toutes différentes les unes des autres en matière de son et de design.
Petite anecdote, j’ai fabriqué une contrebasse à 1 corde avec une caisse de vin parce que c’est le seul instrument commun que nous puissions jouer l’un ou l’autre (Lionel est droitier et moi, gaucher).
WLM : Pouvez-vous me dire plus sur votre atelier et les cours dans lesquels on peut fabriquer sa propre CBG sous votre direction ?
LD : Je n’ai pas à proprement parler « pignon sur rue ». Bien entendu, on peut toujours venir me rendre visite, j’accepte avec grand plaisir.
Je suis situé à côté d’Auvers sur Oise (95). Ce qui peut sembler étonnant, c’est que l’endroit où je travaille est microscopique : l’atelier doit faire 3 mètres carrés. Il fait partie de la cabane qui me sert de studio d’enregistrement. Bien souvent, quand le temps le permet, je travaille en extérieur.
Crédit photo : Anne GAUTREAU, Médiathèque Toussaint, secteur musique, 49100 ANGERS
Les stages auxquels je participe sont la plupart du temps organisés à l’occasion d’un festival ou par un établissement (médiathèque, hôpital…) et s’adressent à des adultes (à partir de 16 ans).
L’idée de base c’est que les participants viennent les mains dans les poches et repartent avec l’instrument qu’ils ont fabriqués lors du stage. Je fournis le matériel et les outils.
Je peux également organiser des stages chez l’habitant (de 5 à 10 participants). Mais cela pourrait aussi très bien être d’accompagner 1 ou 2 personnes sur quelques jours pour fabriquer leurs propres guitares. Les formules sont souples.
Souvent, les gens ont un projet, ils m’en parlent et on voit si c’est réalisable ou pas… Le stage le plus courant consiste à fabriquer des guitares à 3 cordes avec des boîtes en métal et de simples tasseaux de bois.
Je prépare à l’avance les éléments et lors du stage chacun assemble son propre instrument, apprend les bases du jeu et repart avec chez lui ! Je fournis également un bottleneck. Cela ne demande pas de compétences particulières et ça ne salit pas.
Les séances sont parfois complétées par un show-case que je fais à l’issue du stage pour montrer un peu ce qu’on peut faire avec ces guitares.
J’ai également une autre formule plus simple avec des boîtes de conserve et du fil de pêche. Cette formule peut être complétée par l’intervention d’un prof d’arts plastiques pour décorer les instruments.
J’adore transmettre ce que j’ai appris ! C’est le principe de la communauté des fabricants de CBGs.
On peut trouver très facilement des renseignements, des tuyaux sur la fabrication sur le web. J’ai pour ma part une page YouTube qui comporte des tutoriels pour apprendre à jouer et fabriquer des CBGs.
WLM : Super ! Merci, Lefty Dom, de nous avoir accordé cette interview !
Informations : samplermusic@hotmail.com