CIGARBOX GUITAR – DO IT YOURSELF

Bo Diddley jouait- il d’une vraie cigarbox guitar ou sur une production sophistiquée
par une grande firme américaine ?

 

La cigarbox guitar (CBG) fait son apparition il y a deux siècles et est encore aujourd’hui l’un des symboles les plus forts et les plus emblématiques du blues car elle incarne le désir, le besoin, la soif de création – tant plastique que sonore – de la personne qui, récupérant l’une de ces boîtes vides dans un dépotoir, la détourne pour lui redonner vie, ou plutôt lui insuffler une destinée qu’elle n’avait pas dans son usage premier. Avec deux ou trois autres bricoles ajoutées, un son est émis, la boîte s’exprime, elle parle à celui qui l’a recyclée, à celui qui en joue et à ceux dans les oreilles de qui le son tombe. Elle vit !… On peut la personnaliser et elle devient une œuvre d’art. C’est à travers elle, comme par un canal, que le blues jaillit de l’âme de celui qui en gratte, transite par ses doigts et se répand dans le cœur des mélomanes à travers des décennies. Aujourd’hui encore, elle n’a pas fini de faire parler d’elle… Des passionnés lui dédient des festivals entiers, non seulement outre-Atlantique, mais aussi dans nos murs… Cette grande dame n’a pas fini de s’exprimer et nous embarque dans son épopée.

 

Du cigare a la guitare…

 

cigarbox-guitar-4-cordes-st-louis-aroma-de-cubaAu début du XIXème siècle, aux États-Unis, les cigares sont emballés dans des boîtes, des caisses et des barils. Les boîtes contemporaines de petite taille ne font leur apparition qu’après 1840. Jusque-là, les cigares sont expédiés dans de grands coffres contenant une centaine de pièces voire plus. Durant cette période, les fabricants de cigares commencent alors à utiliser des boîtes plus petites, plus faciles à transporter, contenant une vingtaine à une cinquantaine de pièces. Puis en 1864 une loi est promulguée pour que tous les cigares soient emballés dans des boîtes. L’année suivante, obligation est faite pour que les cigares déclarés soient conditionnés dans des boites de 25, 50, 100 ou 250.

Les boîtes de taille normale, pour cinq cigares, ne seront légalisées qu’en 1910.

Milieu du XIXème siècle, les cigares sont très à la mode aux Etats-Unis. Les riches en fument beaucoup et les plus démunis, imaginatifs, récupèrent les emballages vides qui foisonnent dans les décharges publiques ou les achètent pour une bouchée de pain à ceux qui fouillent les poubelles, pour fabriquer des instruments de musique, les gens n’ayant pas les moyens d’acheter un véritable instrument. Une boîte à cigares en bois noble, un bout de planche, parfois même, au départ, un manche à balai sur lequel on fixe une corde – non pas en métal comme aujourd’hui mais souvent un fil de coton récupéré sur des filets de pêche ou encore un fil de moustiquaire d’une porte – donnent le signal d’une nouvelle « débrouille » instrumentale.

 

Une cigarbox guitar

 

cigarBoixLa cigarbox guitar est donc une guitare primitive dont la caisse de résonance est une boîte à cigare.
Les premiers modèles sont des cordophones à une seule corde voire deux maximum, alors qu’aujourd’hui ils vont jusqu’à trois à six cordes. Pour l’ensemble des modèles, les cordes sont toujours reliées entre l’extrémité du manche à balai – ou, par la suite, d’un véritable manche en bois – et un résonateur : notre boîte à cigares.

Les boîtes traditionnelles sont faites en bois, en carton ou en papier. Le cèdre espagnol est le bois le plus apprécié pour leur fabrication à cause de son grain, de sa texture et de son odeur agréable. L’eucalyptus et le bois-jaune, qui remplacent souvent cette essence, sont parfois teintés et parfumés pour lui ressembler. D’autres bois sont également utilisés : l’acajou, l’orme et le chêne blanc. Des espèces sont moins répandues comme le tilleul, le noyer et le palissandre. La préciosité du bois avec laquelle est faite la boîte de cigares est un élément important quant à la qualité du son qui en sortira. Plus le bois est précieux, plus le son sera chaud et de qualité. Ce dernier détail important fera le succès des boîtes vides pour le bonheur des plus démunis qui, assis sur le seuil de leurs masures et qui n’ont pas les moyens de s’acheter un véritable instrument mais dotés d’imagination et de créativité, chantent le blues.

Les décorations qui les ornent, souvent pyrogravées – qu’elles soient originaires des manufactures ou apportées par les musiciens-artisans eux-mêmes, confèrent à la cigarbox guitar un brin de subtilité l’élevant souvent à la dimension d’œuvre d‘art.

Avec le temps et la prolifération des street blues-bands, guitares et violons « boîte à cigares » contribueront à une utilisation complémentaire d’instruments de fortune : les jugs (litt : jarres) – utilisées comme instrument à vent – et à la naissance de jugbands.

jug_bandLa plupart des artistes sont des Noirs américains vivant dans la pauvreté. Ils élargiront l’improvisation des instruments de musique, comme la basse faite à partir d’une grande bassine de lessiveuse, d’un manche à balai et d’une corde, des cruches comme trompettes, des planches à laver et des cuillères pour la percussion, des seaux, des os, des lames de scie, des peignes, l’harmonica, et bien entendu des cigarbox guitars.

Les villes les plus marquées par l’histoire des jugbands dans les années 1930 aux Etats-Unis sont, on peut le supposer, Memphis avec le célèbre quartier de Beale Street qui compte de nombreux cabarets où le blues venu du Mississipi se marie avec la musique des orchestres de jarres, Philadelphie, Chicago, Detroit, Washington, Newark, New York…

 

La cigarbox guitar est un instrument qui charme de nombreux joueurs de guitare, surtout curieux de savoir si son rendu sonore est véritablement musical.
Ceux qui apprennent à la fabriquer le font parfois pour offrir à leurs enfants un cadeau, un objet avec lequel ils sont censés s’amuser. La réalité est qu’ils en font un véritable instrument. C’est ainsi qu’à partir de 1929, dans les années de la Grande Dépression, la cigarbox guitar, joujou pour les tout-petits, devient de plus en plus un palliatif et un exutoire tant dans sa fabrication que dans son utilisation pour nombre de personnes cherchant à s’exprimer par la musique.

Parmi les virtuoses de la guitare et musiciens ayant utilisé une cigarbox guitar comme premier instrument et qui en font usage au cours de leur carrière, on peut citer Jimi Hendrix – qui aurait obtenu sa toute première à l’âge de 5 ans -, Blind Billie Johnson, Carl Perkins, Gov’t Mule, Albert King, Ted Nugent, Charlie Christian, Hound Dog Taylor, Eddie Lang, George Benson, Roy Clark, BB King, Louis Armstrong, Bo Diddley…

Lightnin’ Hopkins également joueur de cigarbox guitar, dit à ce sujet: « … Alors je suis allé de l’avant et me suis fait une guitare. Je me suis acheté une boîte à cigares, j’ai coupé un trou rond au milieu de celle-ci, pris un petit morceau de planche que j’ai cloué sur cette boîte, j’ai pris un peu de fil d’écran de moustiquaire, je me suis fait un chevalet et l’ai élevé suffisamment pour que cela sonne à l’intérieur de cette petite boîte et de ça j’ai sorti un accord. J’ai gardé cet accord et j’ai joué à partir de là…»
Bien entendu, cette liste est très loin d’être exhaustive car beaucoup d’autres musiciens plus ou moins célèbres se sont servi d’une cigarbox guitar au cours de leurs parcours.

Aux Etats-Unis, nombreux festivals célèbrent encore la cigarbox guitar, entre autres :  le Chicago Cigar-Box Guitar Festival, le Pennsylvania Cigar-Box Festival , le Cigar-Box Guitar Festival of Carrolton, et bien d’autres…
Par ailleurs, un marché est à prendre et les fabricants américains de guitares ne restent pas en marge du mouvement. Ils se lancent dans la production d’un instrument généralement plus élaboré, voire électrifié, à l’instar de Ted Crocker, Kurt Schoen, Shane Hopkins, John Lowe, Adam Holmes, Kenny Lee Burgess, la liste restant sans limites.

 

La résurrection

Au regard de ces références, on pourrait avoir le sentiment que la cigarbox guitar reste une exclusivité américaine balayée avant la fin du XXème siècle, surtout connaissant le contexte historique et géographique dans lequel elle a vu le jour. Cependant, l’évidence contemporaine nous montre qu’elle a bien traversé cette époque et les frontières des Etats-Unis, le berceau qui l’a vu naître, pour se répandre dans le monde, notamment en Europe et dans l’Hexagone. En France, nous pouvons évoquer le BSA-CBG festival, entièrement dédié à la cigarbox guitar qui, suite au succès de sa première édition le 6 octobre 2012 à Boissy-sans-Avoir (BSA) dans les Yvelines, en Ile-de-France, à l’enthousiasme des artistes et du public présents, a désormais lieu chaque année, le premier week-end du mois d’octobre.

cigarBoxA côté de ce festival, nous ne saurions oublier de citer des musiciens comme Tinqui8, Orville Grant, qui en jouent mais aussi en fabriquent, et surtout contribuent largement à la faire découvrir au plus grand nombre. Depuis des années déjà, ils comptent parmi les fervents défenseurs et promoteurs de la cigarbox guitar, sans oublier Marcellus Wallace et St. Louis Guitares qui participent aussi fortement à son expansion dans l’Hexagone.

Tombé un moment dans l’oubli, l’instrument connaît aujourd’hui un renouveau, prôné pour l’originalité de son étrange sonorité, aux USA bien entendu, mais aussi en France avec ces principaux artisans de sa renaissance.
Cette renaissance moderne aussi connue comme la « Cigar Box Guitar Revolution » a lieu dans les années 2000 et continue de nos jours avec une augmentation du nombre des constructeurs et d’utilisateurs de la CBG. Un départ aux États-Unis avec des musiciens underground qui se produisent régulièrement dans les festivals dédiés ou lors des festivals de blues. Citons, entre autres, Docteur Oakroot, Johnny Lowebow, Tomi-O, Robert Johnston, Seasick Steve ou encore Shane Speal, autoproclamé « King of Cigar Box Guitar ».
L’intérêt pour les Jugbands et la culture du « Do it yourself » ne sont pas anodins à cette révolution. Au-delà du fait qu’elle ne coûte pas grand-chose, on peut considérer un autre facteur qui est celui du délai de construction… Beaucoup de CBG modernes peuvent donc être considérées comme un type de pratique en lutherie, avec la possibilité d’y ajouter de nombreuses touches personnelles.
La renaissance moderne de la CBG a été documentée dans le film de 2008, Songs Inside The Box de Max Shores, principalement tourné durant le festival annuel d’Huntsville en Alabama, le Cigar-Box Guitar Extravaganza.

Certainement encore de longs siècles à traverser, la CBG continuera son expansion à travers les continents et les styles de musique et restera une belle illustration et une belle preuve que le désir, le besoin et la soif de créer, particulièrement de la musique ne peuvent en aucun cas s’effriter devant l’obstacle que peut constituer le manque de moyens, mais au contraire, devenir un stimulant, un élément motivateur jusqu’à ce que des notes naissent du son.